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Ma vie des autres (258)
Courts récits de 1000 signes. 258 : jouer collectivement. Les millions me passent sous le nez. J'ai la rage. Enfin, façon de parler, car à vrai dire je n'ai eu qu'une gastro, et cette gastro m'a obligé de garder la chambre le mauvais jour. Enfin, le mauvais jour pour moi, parce que pour les autres, ce fut un très bon jour. À cause d'une bactérie de rien du tout qui m'a mis l'estomac à feu et à sang, je n'ai pas pu jouer au Loto comme chaque semaine avec mes collègues de la filature. Depuis quatre ans je ne loupe pas de miser ma part sur nos sept numéros favoris, toujours les mêmes, et le jour de ma gastro le numéro est sorti. Et ce jour-là, je n'ai pas joué. Enfin, j'aurais dû jouer car j'avais demandé à ce qu'on joue pour moi. La veille, j'ai demandé au téléphone qu'on m'avance mes dix euros pour mettre dans la cagnotte. Quand j'ai vu le tirage à la télé et le pactole, j'ai récupérée immédiatement de mon affection. J'ai bondi de mon lit en hurlant ma joie. Trois cents millions à se partager à dix ont de quoi faire oublier des problèmes digestifs. Aujourd'hui, il me faut déchanter, les autres ne veulent rien savoir prétextant que je n'ai pas joué pour de bon et, donc que je n'ai droit à rien. Qu'on ne parle plus d'amitié et de solidarité. Je crois bien maintenant que ce que j'ai vraiment gagné est un ulcère carabiné tellement je souffre.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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