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Ma vie des autres (261)
Courts récits de 1000 signes. 261 : rien ne s'oublie. Je ne laisse rien passer. C'est un problème, surtout pour les autres. On me trouve mesquin, c'est maladif. Je suis maniaque sans être dépressif et ce n'est pas moi qui me défenestrerais sous le coup d'une contrariété. Je suis plutôt le genre à pousser par la fenêtre celui que j'ai dans le collimateur. Le mariage de ma petite-fille est l'occasion de revoir la famille jusqu'aux plus lointaines branches. J'ai insisté pour faire inviter certaines personnes avec qui j'ai des comptes à régler, deux en particulier dont le passage chez moi en des temps immémoriaux m'a laissé un souvenir douloureux. Je me contiens à l'église et à la mairie, et quand on se retrouve tous enfin à l'apéritif dinatoire sur la péniche restaurant, j'assaille l'une après l'autre chacune de mes cibles. Je n'y vais pas par quatre chemins, ils voient que je ne plaisante pas. Je demande à la première de me rendre le bonhomme Michelin porte-clé qu'elle a volé à mon fils, le père de la marié, quand ils étaient enfants. Au second, je réclame les voitures miniatures qu'il nous a piquées à la même époque, dont une jolie Lotus verte. Comme j'insiste et qu'on me pense dangereux, la fête s'interrompt. Je veux récupérer mes biens. J'ajoute qu'il y avait une Audi rouge décapotable aux essuie-glaces cassés, avant de basculer par-dessus le bastingage.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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