Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
178 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 9782070122196
Chronique
Dans Corniche Kennedy, tout n'est que mise en scène, observation, confrontation. La corniche en question, sous un soleil de plomb, au mois d'août, à Marseille, accueille une représentation rejouée tous les jours inlassablement, celle des plongeons d'une poignée d'adolescents (la Bande), héros de cette infime partie du littoral qu'ils se sont complètement appropriée. Le rituel est précis. Par un effet de gradation du risque, les plates-formes de sauts Face to Face, Just do it distinguent entre ceux qui vont jusqu'au bout, et les autres, qui se contentent des plongeoirs les moins risqués. La hiérarchie s'installe alors naturellement au sein de la Bande, et le respect avec. Eddy, Mario, Ptolémée, Nadia et les autres se jugent, se jaugent, roulent des mécaniques, bravent le vide, la peur, cherchent leur place et cherchent, surtout, à la conserver. On s'interpelle, on se pavane, on se séduit, on s'observe. On fait mine de. Mais le combat est bien là, contre les autres, contre la mer, là, en bas, et contre soi. Pour l'adrénaline, pour ce moment où l'on ressort la tête de l'eau, conscient d'être regardé, admiré. Conscient de "l'avoir fait". Il n'est pas question ici de "la jeunesse", mais de quelques adolescents d'un "âge dilaté entre treize et dix-sept".
L'ouvrage aurait pu se concentrer sur cela, une chronique adolescente sur la construction de soi face aux autres, au vent, au vide et à la mer. Un schéma sans relief ni saveur qu'une chute volontaire recommencée ad libitum. Mais le commissaire Sylvestre Opéra veille. Il surveille même, du haut de son promontoire de bureau, endroit rêvé pour garder un œil sur ces gamins braillards qui n'ont peur de rien. Chargé de la surveillance du littoral, il a un point noir, la corniche, la "Plate" comme ils l'appellent. Opéra est affublé d'un certain nombre d'attributs habituels au type de personnage : solitaire, porté sur la bouteille, atteint d'une maladie qui fait sa faiblesse (diabète), et s'adonnant à quelques fréquentations pas très catholiques (Tania, la prostituée). Mais l'intrigue ne tombe pas dans un jeu bête et méchant du chat et de la souris entre les jeunes et la police, la terre ferme et le vide, les idéaux et la carrière. L'auteur se livre à une véritable immersion au sein de chacun des mondes, des deux bulles qui coexistent physiquement dans la ville, le bureau d'Opéra surplombant la mince bande de rochers entassés, où s'éprouvent, où s'épreuvent les adolescents, qui trouvent leurs repères hors de l'espace-temps traditionnel. La marginalité ici est symbolisée par cette partie de territoire hors territoire difficile d'accès, territoire sacré d'une adolescence prête à tous les vertiges.
Si les coups de projecteurs sur Sylvestre Opéra sont souvent moins marquants que les pages consacrées à la Bande, l'auteur nous entraîne néanmoins dans un quotidien de flic rythmé par les descentes dans une boîte de nuit plutôt louche, la surveillance d'un voilier plein à craquer de drogue, et les sombres filières de prostitution. Nous retiendrons au final un roman empreint d'une noirceur toute en nuances, des personnages esquissés juste comme il faut - épais mais pas indigestes - et une force de l'écriture parfaitement bien dosée entre poésie du social et descriptions très justes d'une adolescence atemporelle. Un roman qui se détache, et qui parvient à donner le vertige.
Nominations :
Prix Jean Amila-Meckert 2009
Citation
[...] leur corps est propulsé à l'avant, à l'avant de la corniche, à l'avant de la ville, à l'avant du bourbier qu'ils laissent dans leur dos, le bourbier de l'enfance et des secrets pourris, et dans la chute ils hurlent.