Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Regarde un peu la France
Dans le roman d'Olivier Bordaçarre, la rue Élisée-Reclus de Choisy-le-Roi est rebaptisée (en grande pompe s'il vous plaît) rue René-Bousquet. Ce qui en dit long sur l'état d'esprit de la France en cette veille d'élection présidentielle 2012. Le roman en dresse une cartographie peu reluisante, à travers le destin de trois groupes.
Tout d'abord, la bande d'amis du pas-tout-à-fait-narrateur Arthur, dit Art, et de sa bien-aimée Alice. Ces sympathiques jazzophiles fréquentent le même bar de la Butte aux Cailles et partagent la même inquiétude quant à la situation politique de leur pays. Ils entrent finalement en résistance suite à l'élection à la présidence de la République de Jean-Benoist de Coquebrune, leader du PNAP, signifiant le retour des pires démons nationaux.
Ensuite, la bonne famille d'Axoy dans son triplex de Dupleix : le père, industriel proche du pouvoir ; la mère, grande bourgeoise catholique dépressive ; le fils, handicapé mental et honte de la famille. Mais aussi Anne-Sophie, dite Nanou, l'aînée, l'aventurière au long cours, qui part traverser le Pacifique à bord d'un frêle esquif, et dont l'odyssée sera suivie par toute la France grâce à des procédés révolutionnaires de télécommunication, ce qui ne manquera pas de rapporter des fonds conséquents pour la campagne du PNAP.
Enfin, un foyer plus que modeste de Choisy : Clodie l'ancienne pute, son alcoolique de mec et leur petite Choupette qui n'ouvre plus le bec, murée dans un mutisme révolté. La petite famille connaîtra une longue descente aux enfers car, dans cette France de demain, il n'y a pas de place pour les chômeurs, les désocialisés, les parasites, les clodos enfin.
Ces trois groupes ne feront donc que se croiser – comment pourrait-il en être autrement ? – mais c'est justement ce qui fait la richesse du roman. Certes, on pourrait reprocher certaines facilités, les révolutionnaires parfois franchement naïfs, la frustration sexuelle du bourgeois un peu caricaturale, la rédemption de la jeune fille de bonne famille difficile à avaler, mais qu'importe : l'écriture est belle, musicale évidemment, tranchant singulièrement avec cette France effrayante et brutale, ses milices populaires et ses malls à l'américaine. Sur une note très personnelle, j'avoue avoir été moins sensible à l'histoire d'amour éthérée d'Art et Alice qu'à la pasión bien charnelle d'Angela et Juan, les vieux domestiques des d'Axoy. Et le destin le plus bouleversant est à mon sens celui de Clodie, terriblement noir, sans jamais la moindre lueur d'espoir malgré tous les efforts de la jeune femme pour s'en sortir.
Malgré ses quelques défauts, le roman vise globalement juste et fait mal. Non, décidément, Régime sec n'est vraiment pas une lecture qui colle le sourire aux lèvres. Toute ressemblance, etc.
Citation
Je vais vous dire, les trente-cinq heures, là, vous vous souvenez ? On les a à peine connues, d'ailleurs, nous deux, on était trop jeunes.