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Du rêve à la réalité : farce tchèque
Pourquoi évoquer cet ovni cinématographique qu'est Qui veut tuer Jessie ? alors que de toute évidence l'univers est celui de la science-fiction ? Eh bien parce que son réalisateur, Václav Vorlíček, aime jouer à la frontière des mauvais genres et que, malgré une intrigue qui surfe sur l'anticipation loufoque kitchissime, il y a de nombreux éléments qui se rattachent à nos genres de prédilection.
Réalisé en 1966, le film, dans la lignée du comique de situation à la Laurel & Hardy et à la Buster Keaton, nous offre une situation totalement incongrue. Nous sommes deux ans avant le Printemps de Prague, et malgré une intrigue étonnante se décèlent ici et là des piques sur le régime communiste.
Tout débute avec un couple de chercheurs qui font l'amour tous les jeudis sinon ils font chambre à part. L'un comme l'autre ne sont absolument pas charismatiques. Elle, est une espèce de dragonne qui a inventé le KR-6, un sérum permettant de transformer les cauchemars en rêves agréable au cours de la somnoréparation. Lui, plus sympathique, est l'archétype du chercheur : lunatique à lunettes il va puiser son inspiration dans un comic strip, Qui veut tuer Jessie ?, afin de créer des gants anti-gravitationnels et pouvoir déplacer quelque chose (on ne saura jamais ce que c'est, mais ça a une propension à tomber et à tout casser). Le bémol, c'est que le sérum en réalité va mettre un sacré boxon.
Au départ, il intéresse tout le monde, les militaires comme les politiques. Dans un pays communiste, même les rêves n'ont pas le droit d'être anarchiques. Mais si les cauchemars se font la malle, c'est pour mieux débarquer dans notre réalité. La chercheuse avait travaillé sur son chien avant de s'atteler à une vache. Cette dernière cauchemardait sur des taons qui ne cessaient de l'importuner. Tout le monde aurait dû faire le rapprochement avec ces mouches qui après sortaient de son oreille. Mais le gros du problème comme toujours réside dans la jalousie.
Curieuse de connaitre les rêves de son mari, elle le branche à sa machine alors que lui mordille son oreiller. Et ce qu'elle voit la dérange au plus au point. Il tient dans ses bras l'héroïne de ce strip, Qui veut tuer Jessie ?, qui à l'écran n'est autre que la ravissante Olga Schoberová, la Brigitte Bardot tchèque. Ne souhaitant subir les affres de ce péché capital, elle s'empresse de lui administrer le sérum tout en lui reprochant de ne pas rêver d'elle.
Le résultat ne se fera pas attendre. C'est comme si les deux chercheurs se réveillaient la gueule enfarinée au matin. Dans le lit du chercheur, la belle aux allures de Jeanne de la Jungle. Dans la salle de bains, un cow boy plutôt benêt et un ersatz de Superman. Les deux pourchassent la belle qui tombe amoureuse du scientifique. C'est alors une succession de gags impromptus avec des canons du genre et des effets spéciaux très spéciaux accompagnés de trucages truculents.
Un policier se retrouve à garder une bouche d'égout, les uns et les autres passent sous terre, sur les toits, détruisant tout ou presque sur leur passage. Le point d'orgue étant sûrement quand Superman s'installe à un piano pour jouer une Polonaise de Chopin pour calmer un bébé pendant que le cow boy se murge au biberon, à moins que ce ne soit quand ce même Superman se balance à un lustre sous le regard de flics très remontés et prompts à le descendre avant que d'être mis de force dans un four crématoire et s'en sortir comme s'il avait subi une séance de sauna !
La suite sera des plus ubuesques. Personne ne meurt, tout le monde court après tout le monde, et si l'on peut dire la fin est en forme de happy end.
Pourquoi en parler donc ? Tout d'abord parce qu'il y a une galerie de personnages qui appartiennent à tous les mauvais genres de l'héroïne d'aventure au superhéros en passant par le cow boy et le scientifique fou. Après, car il y a une succession d'événements rocambolesques et un mélange habile des traitements : dès son générique, le film nous plonge dans le monde des comics. C'est une suite d'images tirées d'une bande dessinée. Ensuite, pendant tout le film, les personnages sortis tout droit de Qui veut tuer Jessie ? ne parleront pas autrement que dans des bulles que les autres manient un peu comme ils veulent afin que tout le monde puisse les lire. Nous vivons alors dans une réalité affabulée qui nous offre des situations totalement inédites. Un peu comme si Václav Vorlíček avait voulu réaliser un film à partir de ses souvenirs pourtant forcément inexistants de Signé Furax. Le résultat est trente ans avant un Qui veut la peau de Roger Rabbit (surprenant de constater que dans le film de Robert Zemeckis, la belle et plantureuse femme fatale se prénomme Jessica. Un hommage ?) avec la même question (et son point d'interrogation dans le film tchèque), le même traitement, le même résultat et les mêmes contrastes sur fond de musique jazzy. Un régal... pour les amateurs du genre...
Qui veut tuer Jessie ? : 80 min. réalisé par Václav Vorlíček avec avec Dana Medrická (Doc. Ruzenka Beránková), Jirí Sovák (Doc. Jindrich Beránek), Olga Schoberová (Jessie), Juraj Visny (Superman), Karel Effa (Pistolník)...
Bonus. Livret de dix-huit pages comprenant : interview de Václav Vorlíček par P. Taussig ; "Comic Streets" par C. Lugan ; Kája Saudek - roi de la triste figure par T. Prokůpek.
Citation
Tout d'abord, mes félicitations. Cette découverte a une portée considérable. En effet, si nous sommes capables de modifier de façon positive les rêves de millions de gens, nous pourrons sous peu influencer également leur comportement sociopolitique, et je trouve ça formidable, tout à fait admirable !