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Inédit
Tout public
Traduit du coréen par Françoise Nagel, Lim Yeong-hee
Arles : Philippe Picquier, juillet 2012
196 p. ; 21 x 13 cm
ISBN 978-2-8097-0353-5
Des rats et des hommes
T-K. Profession : tueurs de rats. Vie sentimentale : cafouilleuse. L'homme est envoyé par sa société dans le pays "C" pour dératiser une zone, berceau d'une épidémie qui pourrait bien gagner la planète entière. Tel est le point de départ de cette partition aux accents kafkaïens où le protagoniste principal semble aussi perdu que Joseph K. Récoltant une mutation visant à l'éloigner, T-K tente néanmoins de bien faire son travail. Appliqué, soigné, précis, un peu perdu dans ce pays étranger avec une population contaminée par un mystérieux virus, T-K est prêt à agir en professionnel mais il a obtenu plusieurs semaines de congés forcés dès son arrivée. Avec deux numéros de téléphone en poche, dans une ville où pullule, hormis les rats, les ordures, le temps libre laisse vite place à l'étouffement. Le pays est en crise, l'organisation semble bringuebalante, tout est au ralenti. La misère est à tous les étages, la suspicion, la déchéance et la mort semblent étendre leur territoire un peu plus chaque jour.
Pyun Hye-young colle l'odeur de chaque ruelle à la peau du lecteur - bravo aux traducteurs. Son texte est crasseux. Il suinte entre les lignes, et les ordures, se révèlent être un personnage à part entière du roman. Entassées, débordantes, elles surgissent de sacs éventrés, tels des monstres pour s'emparer du quotidien des habitants. La ville semble elle-même se fondre en un amas de détritus peuplés d'ombres errantes, nocturnes et pestilentielles. Mais chacun fait son travail, le gouvernement met certains habitants en quarantaine, livre des plateaux-repas, et T-K, lui, aimerait bien faire le sien - tuer des rats. Mais non, T-K est prisonnier de l'attente, nul ne le contacte, on l'oublie, lui-même lutte à rassembler les repères d'un passé en suspens. Puis un jour, enfin, une information : on a retrouvé son chien découpé et sa femme morte dans son ancien appartement, au pays, là-bas. Et il est le premier suspect. T-K se met à fuir. Il cherche un abri, un autre lieu où il pourra prendre du recul. Un environnement qu'il pourra contrôler : celui des rats. Eux, il les connaît bien. Il sait comment ils vivent, comment les tuer. À mains nues même, comme un jour où il l'a fait devant ses anciens collègues. Alors T-K partage la vie des rats, erre parmi les reflets d'un passé. Les égouts se révèlent être un monde familier. Un nouvel habit, une nouvelle identité dans un monde où paradoxalement tout ici semble plus définissable, plus propre.
Entre Franz Kafka, Brazil, de Terry Gillian, et Kobo Abé, Cendres et rouge est l'histoire d'un homme en perdition qui enquête sur le meurtre de sa femme. T-K est l'image même de l'individu broyé par un système qu'il ne comprend pas. Il n'est pas en lutte, il subit juste devenant lui-même la machine de sa propre destruction. Pyun Hye-young offre un roman hors du commun, noir, mais qui, au-delà d'un concept original, reste parfaitement lisible. On se laisse happer par cette étrange organisation de la misère et de la disparition, là où l'on broie les êtres à la pelle mais où le recyclage est de mise. C'est à la fois un roman social et la critique d'un système absurde qui pourrait être le nôtre. L'auteur a élimé tout ce qui pourrait en faire un miroir de la société coréenne pour tendre vers l'universalité des pays industrialisés. Dans ce pays "C", qui est à la fois nulle part et partout, comment pourrait-on s'en sortir ? Voilà une idée que T-K a bien vite fait d'oublier, être fait comme un rat, c'est comme tout, on s'y habitue.
Citation
À l'époque, il ne se demandait pas avec angoisse ce qui lui causait cette désagréable sensation sur la peau, n'avait pas besoin de retenir un cri d'horreur en découvrant qu'il était dévoré par la vermine.