L'Employé

Si j'avais possédé davantage d'imagination, j'aurais peut-être trouvé un moyen de cesser de travailler ou même de disparaître ; après tout, quantité de gens disparaissaient dans l'Allemagne nazie. Tout le problème était d'arriver à le faire sans que ce soit définitif.
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jeudi 21 novembre

Contenu

Roman - Noir

L'Employé

Anticipation - Urbain MAJ jeudi 08 novembre 2012

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 18 €

Guillermo Saccomanno
El Oficinista - 2010
Préface de Rodrigo Fresán
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Michèle Guillemont
Paris : Asphalte, novembre 2012
170 p. ; 20 x 15 cm
ISBN 978-2-918767-27-5
Coll. "Fictions"

L'homme ployé

La ville du futur tel que la conçoit Guillermo Saccomanno n'a rien de particulièrement attirant. Elle est grise, inondée de pluies acides, envahie par des chiens errants clonés, son ciel est obscurci par des hélicoptères et des chauve-souris, ses rues sont à l'agonie avec des junkies qui rançonnent les passants. Il faut ajouter qu'elles ne sont pas sures car les attentats se multiplient. Pourtant, les forces de l'ordre sont omniprésentes. Un regard de travers et vous êtes le nez contre un mur, le canon d'une arme sur la nuque.

C'est dans cet univers totalitaire et glauque que, pendant près de 170 pages, Guillermo Saccomanno nous convie à suivre le quotidien de l'Employé. C'est un individu modeste, lâche et plutôt mesquin, la version minorée de l'homme ordinaire. Une vie de famille en berne avec une grosse femme poilue qui le bat et le viole, et des enfants tout aussi gros qui ne le respectent pas. Tout juste s'il admet une tendresse pour Petit Vieux, l'un de ses rejetons, un enfant borgne mais sans royaume. Aussi, quand après avoir fait des heures supplémentaires tard le soir l'Employé a-t-il une aventure avec la secrétaire du chef qu'il s'imagine aussitôt que sa vie va changer.

À l'instar des personnages dostoïevskiens, il se parle beaucoup et s'exacerbe ; il sait qu'il a un cœur noble, et pourtant il commet vilenie sur vilenie. À mesure qu'il s'élève intérieurement, il s'abaisse dans les faits et en pensée. Cette rencontre amoureuse signe à la fois la fin de sa vie routinière (qui pourtant le protège d'un licenciement) et sa fin morale. Car l'Employé n'est plus alors servile. Il n'aura de cesse de trouver des solutions pour partir vivre avec cette secrétaire enceinte de son chef. Son chef qui jusqu'à présent représentait l'autorité supérieure dont il avait peur est maintenant son rival. Un homme qu'il veut à tout prix tromper et supplanter. Et ces solutions passeront par le vol, l'assassinat en règle, les rapines...

Guillermo Saccomanno s'écarte alors de ces personnages dostoïevskiens car l'Employé demeure solitaire et incompris. Nulle Sonia - dans Crimes et Châtiment - pour sauver le Raskolnikov qu'il pourrait être. Nulle Dounia pour l'épauler. Car la ville a façonné des personnages solitaires et égoïstes jusque dans leurs sentiments. Le seul couple véritable et romanesque aura entre temps éclaté du fait de la paranoïa, de la fourberie calculatrice et de la lâcheté de l'Employé. Et c'est peut-être là qu'il faut aller encore puiser dans le nihilisme de la littérature russe pour comprendre ce roman argentin. Les ombres qui le fréquentent ne croient en rien du moins en apparence car avant tout il ne faut surtout pas montrer ce que l'on est si l'on veut continuer d'avancer petitement.

L'univers est noir à souhait pour décrire une société minée par l'entreprise dans un but délibéré d'asservissement. Alors eugénique Saccomanno ? Vous pourrez en juger par vous-même. L'écriture est simple avec cette force des idées qu'elle véhicule. Le romancier observe et déploie son personnage, le conduit vers sa rapide déchéance, s'ingénie à lui faire tout perdre. L'homme ployé a eu le tort de vouloir se redresser, mais Guillermo Saccomanno a eu tôt faire de le réduire à néant comme si toute idée d'exister, toute idée de révolte étaient inutiles. À nous de lui donner tort.

Citation

Ce qui nous accable n'est pas la différence entre ce que nous avons été et ce que nous sommes, pense-t-il. C'est la paresse avec laquelle nous nous laissons aller à la dégradation.

Rédacteur: Julien Védrenne dimanche 04 novembre 2012
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