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La Maudicha pour sens de la vie et de l'écriture...
© D. R.
k-libre : Une photo de vous sur la quatrième de couverture vous représente enlaçant une guitare – qui n’est pas une guitare manouche. Êtes-vous manouche ?
Juan : Ni Manouche, ni Gitan. La photo de la quatrième est une mise en scène, j’y joue le rôle de Paco, un des personnages du roman qui, lui, est Gitan, alcoolique et guitariste. Sa gratte, comme celle de la photo, c’est une vieille classique sale. Par ailleurs, sur la photo, vous pouvez voir aussi un verre de rosé. C’est du "Domaine de Sessou", un très bon vin produit par Philippe Peralba, un ami qui est aussi musicien et photographe à ses heures, puisque c’est lui qui a fait la photo en question. Cela dit, si je suis guitariste aussi, je n’aime pas le rosé. Mon truc, c’est le rouge.
k-libre : Alors pourquoi cette assignation ?
Le point de départ du parcours de Léni, le personnage principal de la première partie, est une forme de crise existentielle liée à l’identité. Comme toute personne qui se cherche, moi inclus, Léni a tendance à fortement marquer ses repères. Que ces repères soient liés à une certaine culture Méditerranéenne n’est bien sûr pas anodin. Je suis Méditerranéen, du Sud de la France, Espagnol par ma mère...
k-libre : Quel chassé-croisé dans ce roman ! Le père, figure de l’errance, se sédentarise et le fils, sédentaire au départ, s’arrache à ce destin... Moins à la rencontre l’un de l’autre qu’à la rencontre chacun de soi, et encore, une rencontre que seul votre roman accomplit...
Oui, à trente ans d’intervalle, père et fils ne se retrouvent pas mais se rejoignent dans l’échec. À mon goût, l’ironie ne vaut la peine qu’avec une certaine dose de cruauté. Robin n’a pas l’envergure de Léni, son père. Sa quête n’en est que plus pathétique. Mais il finit par comprendre son inanité, c’est là qu’est sa rédemption. Quant à l’errance morale et intellectuelle de Léni, elle est forcément vouée à l’échec aussi. Léni cherche une réponse ontologique, souvent au fond des bouteilles, alors que la solution est dehors, dans le sac de nœuds de la vie. La solution, c’est la Maudicha... Paco, lui, l’a trouvée. Puis il l’a perdue. C’est ce qu’il essaie d’expliquer à Léni quand il lui dit : "Tu vois compère, mon vrai malheur, c’est que je n’ai plus rien pour tirer ma caravane." Paco est un Gitan philosophe. Je me dis parfois que tout sédentaire devrait trouver au moins une caravane métaphysique...
k-libre : La Maudicha c’est quoi ?
C’est de l’Occitan qu’on traduirait trop vite, en tout cas dans mon bouquin, par "La Maudite". J’ai voulu en faire une sorte d’extension du "Duende". Le Duende c’est le feu follet, l’inspiration, l’étincelle improbable... mais aussi "un démon furieux", comme disait Garcia Lorca. C’est un état de grâce que les grands musiciens Gitans savent atteindre. Enfin… pas seulement les musiciens Gitans. Tous les grands musiciens y parviennent. Suffit d’écouter Coltrane. Et puis le Duende n’est pas réservé à la musique. Tous les arts permettent d’y accéder… La Maudicha, c’est une sorte de transposition du Duende, de l’art à la vie dans son ensemble. C’est pour ça qu’on vit, pour toucher la Maudicha. Et ce n’est pas sans risque. Une fois qu’on l’a entr’aperçue, on se rend compte qu’elle a déjà glissé entre nos doigts. Alors il faut se remettre en quête. C’est sûrement une vanité… Il doit y avoir du Sisyphe, là-dedans… Une sorte de dépendance, de malédiction… D’où le nom.
k-libre : Dans votre roman, est-ce que la Maudicha ne serait pas aussi cette langue que vous déployez ?
Comme je viens de le dire, la Maudicha est une transposition du Duende, et le Duende n’est pas réservé à la musique. On peut trouver le Duende en écrivant… Mais je ne serais qu’un con prétentieux si je prétendais y être arrivé. Il faut une certaine qualité d’âme, pour toucher le Duende. Pour le moment, je roule mon rocher sur une page blanche. Si quelques étincelles ont jailli, tant mieux. Mais se croire arrivé est le meilleur moyen d’aller nulle part.
k-libre : Quel est votre propre rapport à elle ?
Ben… Je crois faire partie de ceux qui la cherchent, la subissent. C'est-à-dire la majorité des gens. Du moins je l’espère. Je la cherche en écrivant, surtout. Mais la Maudicha est multiforme… Elle peut aussi bien être une femme qu’un chorus réussi. Entendons-nous : il n’y a rien de sexiste dans ce que je viens de dire. C’est pour la Maudicha qu’on vit. J’ai rencontré une femme à qui ce nom allait comme un gant. Évidemment, je l’ai perdue…
k-libre : Vous revendiquez très fortement votre identité méditerranéenne. Reçoit-elle une traduction romanesque ?
Je suppose que oui, vu mes personnages… Mais, heureusement, c’est fait sans calcul. Du coup, je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Ma maman, qui n’hésite pas à qualifier mon style de "lapidaire", m’a dit un jour que le rythme de mon écriture était proche de l’Espagnol. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Et je ne sais pas jusqu’à quel point elle se raconte des histoires. Peut-être qu’elle aimerait que j’écrive dans la langue de Cervantès… J’en suis incapable.
k-libre : Pourquoi écrire du polar ?
Je n’ai pas l’impression que c’est ce que je fais. J’aime les intrigues, les rebondissements, les révélations… Le polar est un bon moyen d’amener des cliffhangers. Pour autant, je n’ai pas l’impression d’écrire des polars. Les schmitts sont très accessoires, dans mes bouquins. La Maudicha, ce serait plutôt un roman introspectif, noir et à intrigues… Et dont l’éventuelle portée philosophique est à la charge du lecteur…
k-libre : Existe-t-il, selon vous, une littérature policière méditerranéenne ? Quelles en seraient les valeurs, les univers, les auteurs ?
Depuis Izzo, j’ai l’impression que quelque chose qui ressemble à du polar méditerranéen se dessine en France, avec des éditeurs comme L’Écailler du sud ou Mare nostrum… En Espagne, il y a bien sûr "Pepe Carvalho" et des incursions vers le polar d’auteurs comme Perez Reverte et Carlos Luis Zafon (L’Ombre du vent est un bouquin magnifique et terrifiant). Mais je ne sais pas si on peut appeler tout ça de la "littérature policière"… Seule certitude : c’est de la littérature méditerranéenne… Faut pas me demander ce qu’est la littérature méditerranéenne. Je vois tout à fait de quoi il s’agit, mais je suis incapable d’expliquer ce que c’est.
k-libre : Quels auteurs ont marqué votre existence ?
Un Écossais ! Kenneth White. Si je n’avais pas lu La oute bleue, je crois que je n’aurais pas commencé à écrire. Et puis Carlos Luis Zafon, toujours lui, Pierre Jourde, qui écrit comme personne, plus des classiques : Camus, Céline (qui haïssait aussi les Narbonoïdes dégénérés auxquels je me flatte d’appartenir), Paul Auster, Sepulveda… Depuis quelque temps je me suis mis aux Africains. Fatou Diome, Mariama Ba, Calixte Beyala… Oui, bon… aux Africaines, surtout… Et je me régale. Pour finir, il y a un auteur qui m’a beaucoup marqué et qui est aussi un ami : Jan Jouvert. Il a sorti un très beau bouquin chez Fleuve Noir en 1999 : Eau et gaz. Rien depuis et c’est vraiment dommage… Bref, au bout du compte, je crois qu’il n’y a aucun auteur de polar dans le tas… Oups !
k-libre : Quels auteurs de "noire" aimeriez-vous défendre ?
Heu… Personne. En temps normal, je n’attaque ni ne défends.
Liens : Juan | La Maudicha Propos recueillis par Joël Jégouzo