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Young : Tunis 1911 - Auschwitz 1945
Grand format
Inédit
Tout public
126 p. ; illustrations en couleur ; 30 x 22 cm
ISBN 978-2-7548-0628-2
Sportif déporté
S'il existe un boxeur à la trajectoire noire ancrée dans l'histoire alors il a pour nom Victor Young Perez. Ce Tunisien aux quatre-vingt-onze victoires dont vingt-sept par KO a tout du héros de roman noir. Né le 18 octobre 1911, juste avant la Première Guerre mondiale, il assiste à sept ans à la chasse aux juifs dans les rues de Tunis au lendemain de l'armistice avec cette interrogation : "C'est quoi être juif ?". Plus tard, son grand frère pratique la boxe, et le jeune freluquet, alors apprenti chez un cordonnier, ne jure que par le noble art et les exploits de Battling Sikki, le Sénégalais des colonies françaises, contre Georges Carpentier, premier Français champion du monde. Son assiduité au bas du ring lui permet de combattre un adversaire esseulé et d'obtenir un match nul prometteur. À partir de cet instant, sa carrière est aussi fulgurante que mouvementée, mais ce pan de sa vie est quasiment occulté dans l'excellente bande dessinée monochrome de Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray, qui se concentre sur l'enfance et les années de déportation de ce héros pas si anonyme que cela.
Il faut dire que si Young Perez devient bien champion du monde après son combat contre Frankie Genaro le 24 octobre 1931, à l'âge de seulement vingt ans, les deux artistes savent qu'il mourra en janvier 1945, sous le matricule 157178, après deux trop longues années passées comme déporté à Auschwitz, d'une rafale de mitraillette, au cours de la marche de la mort alors qu'épuisé il fait pourtant partie des trente et un rescapés du convoi n°60. L'intrigue qu'ils ont façonnée raconte alternativement cette ascension et sa route vers la mort. Ils prennent à peine le temps de s'arrêter sur des moments-clés de sa vie. Sa rencontre passionnée avec l'actrice française Mireille Balin (sa jalousie pour Jean Gabin, ses craintes que ce qu'il voit à l'écran soit la réalité), et son arrivée à Berlin le lendemain de la Nuit des Longs couteaux (il prend un taxi conduit par un chauffeur antisémite qui se demande si son nez ne fait pas de lui un juif). Toujours la même question aux lèvres : "C'est quoi être juif ?" sans avoir vraiment de réponse. De ses périodes de doutes, de ses combats perdus et de sa prise de poids, il n'est fait nulle mention. En revanche, et l'on comprend que cela a marqué l'esprit d'Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray, les années dans un camp de concentration commandé par un officier SS fan de boxe, qui a fait construire un ring, et qui permet à des boxeurs de bénéficier d'une journée sans corvée avec entrainement à la clé sont parfaitement mises en cases avec toutes les petites tricheries nazies car il faut bien que les athlètes du peuple élu gagnent haut la main.
L'histoire est finement découpée. Tout est bien orchestré, rien n'est laissé au hasard à commencer par la citation en exergue de Si c'était un homme, du romancier Primo Levi que Young Perez côtoie au camp de Monowitz. La vie du camp, avec ses lois internes, ses prisonniers lâches, voir fourbes, qui tiennent aux avantages qu'ils imposent aux autres, et les autres justement aux actes généreux, la hardiesse de certains, la cruauté des autres, le papier journal que l'on se met entre la toile et le corps et qui s'il est découvert emmène tout droit à la potence. Les humiliations du quotidien, les exploits réalisés pour survivre si l'on est cantonné à gauche et non à droite : tout est rendu avec horreur et stupéfaction. La vie (et donc la mort) de David Young Perez est une vie romanesque noire avec déchéance du héros lors d'une longue agonie. Le rendu graphique est parfait en tous points. Une pure réussite qui fait écho à À l'ombre de la gloire, toujours chez Futuropolis, de Denis Lapière et Aude Samama, et au film Victor "Young" Perez, de Jacques Ouaniche avec le boxeur Brahim Asloum, champion olympique.
Citation
Le paradis c'est d'où je viens, essayons l'enfer, parait qu'ils ont un orchestre terrible.