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Inédit
Tout public
Traduit de l'islandais par Patrick Guelpa
Paris : Métailié, septembre 2013
320 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-86424-938-2
Vrai-faux policier
Arnaldur Indridason est maintenant bien connu en France comme auteur de romans policiers. Mais il n'est pas que cela. C'est aussi un romancier "à part entière", comme on dit. À vrai dire, ce n'est pas très étonnant, puisque son père l'était aussi – comme tout le monde ou presque, serait-on tenté de dire, dans ce pays où une moitié de la population est censée lire ce que l'autre moitié écrit. Et il le prouve avec brio ici, sur un sujet pourtant assez spécial et pour tout dire très islandais. Au centre de l'intrigue se trouve en effet le Codex Regius (ou Livre du roi), manuscrit contenant le texte de l'Edda poétique, c'est-à-dire rien moins que le corpus de la mythologie païenne et héroïque nordique, et donc le trésor littéraire (anonyme) de l'Islande, où il a été mis par écrit au Moyen Âge, en aboutissement d'une tradition orale venant de la nuit des temps. Le présent livre, lui, est narré, à la première personne, par un certain Valdemar (dont nous ne connaîtrons jamais le nom propre, mais peu importe en Islande, où tout le monde se connaît par son prénom et se tutoie), étudiant islandais passionné de littérature ancienne venu à Copenhague, au milieu du XXe siècle, pour satisfaire cette passion auprès d'un professeur lui aussi islandais, un peu ivrogne et ardent nationaliste (dont nous ne connaîtrons ni le nom, ni le prénom), qui fait autorité en la matière et veille jalousement sur le fonds de bibliothèque conservant ce patrimoine littéraire en attendant le jour béni où il pourra être rapatrié en Islande. À partir de là, c'est toute une intrigue rocambolesque qui se déploie. Car ce fameux livre a été dérobé, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, au professeur qui l'avait en sa garde par un certain Erich von Orlep, nazi convaincu (les intellectuels allemands étaient friands de mythologie nordique ancienne à des fins de propagande idéologique), au terme d'un odieux chantage. La paix revenue, le professeur n'a de cesse de récupérer son trésor. Cette quête va le lancer, avec son étudiant, dans une série d'aventures assez haletantes : violer une sépulture en Allemagne de l'Est, cuisiner un Russe au passé trouble dans le quartier chaud d'Amsterdam, être suspectés d'une agression et d'un meurtre, jouer les passagers clandestins à bord d'un paquebot, etc. Mais ce n'est pas tout. Le professeur est en effet également en quête d'un fascicule de huit pages qui a disparu (encore que les preuves de cela soient minces) du même Codex Regius. Cela le mènera, cette fois, en Islande, sur les traces d'une certaine Rosa B. (décidément, le lecteur est souvent frustré en matière de noms, dans ce livre), dans une "métropole" du nom de Hallsteinstaðir ! Excusez du peu et retenez votre souffle pour suivre cette intrigue aux multiples rebondissements.
L'auteur réussit à passionner avec un sujet qui est du domaine de l'érudition la plus pointue, car il fait intervenir des personnages tels qu'Árni Magnússon, l'évêque Brynjólfur ou Jón Árnason, qui ne sont connus que des scandinavistes de métier. Comme quoi tout est dans le talent. Comme quoi, aussi, la frontière entre les genres a bel et bien disparu. Car nous sommes ici aux confins de l'histoire (le bombardement de l'immeuble de la Shell, qui abritait la Gestapo de Copenhague, dans les derniers jours de la guerre, y joue un rôle capital), de la littérature (Halldór Laxness joue lui aussi un rôle non négligeable) et de la fiction, et ce roman qui n'est pas un policier (il y a bien plusieurs cadavres, mais ils interviennent dans le cours du récit et ne sont pas à son origine, et l'enquête, qui n'est pas menée par Erlendur – le détective avec lequel l'auteur nous a familiarisés –, porte sur le trajet d'un livre et non sur le coupable d'un meurtre, et se lit mieux que... certains policiers (dont je ne citerai pas le nom, pour rester dans la note de ce livre). La formule rappelle d'assez près un certain Nom de la rose. Espérons pour son auteur qu'il connaîtra le même succès. Il le mériterait parfaitement.
Citation
Le Livre du roi survivra à nous tous. Ce n'est pas nous qui le conservons, c'est lui qui nous conserve.