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Inédit
Tout public
Traduit de l'espagnol par Nelly Lhermillier, Alex Lhermillier
Paris : Grasset, mars 2014
608 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-246-80070-5
Coll. "Roman"
Quelles plaies !
Ce pavé de six cents pages traduit dans quinze pays a été écrit au terme de plusieurs années par un endurant Espagnol "enseignant à l'Université polytechnique de Valence et passionné de romans historiques et d'aventure depuis l'enfance". Il se déroule en Chine impériale au XIIIe siècle. Le roman est immédiatement suivi d'une "note de l'auteur" assez étonnante où celui-ci raconte la genèse du texte et développe ses idées sur le genre du roman historique. Ce texte bienvenu est suivi d'une notice biographique du vrai médecin légiste qui a nourri le personnage principal, d'un glossaire impressionnant qui évite de longs développements documentaires dans le corps du récit, d'une bibliographie et des inévitables remerciements. Tour de force : en seulement quinze petites lignes, la quatrième de couverture résume toutes les grandes phases d'intrigue jusqu'à la page 400 ! Autant dire que le best-seller est bien calibré pour la presse et pour le public toujours un peu pressé dans ses choix.
Tout repose sur les épaules de Cí Song, "un garçon d'origine modeste sur lequel le destin semble s'acharner". Suite à un meurtre dans son village, le juge Feng débarque. Soupçonnant qu'une serpe a été utilisée pour tuer, il réunit toutes celles des villageois, toutes marquées à leur nom. Il chasse alors les mouches bien occupées à butiner les plaies du cadavre. Et toutes les mouches s'envolent sur une serpe et une seule, détectant, malgré le lavage rapide, l'odeur du même sang dont elles se gavaient ! Et le coupable est le frère de Cí ! Le déshonneur puis la foudre tombent sur la famille. Seuls rescapés : Cí et Troisième, la petite sœur handicapée. Commence alors une errance au milieu des méchants jusqu'à la capitale de l'empire où Cí entre au service d'un devin qui cumule les professions d'escroc aux courses de grillons et fossoyeur. C'est pour répondre aux questions de certaines familles que Cí, qui a quand même étudié avant que son père ne soit mystérieusement relégué dans son village, commence à "lire les cadavres". Il découvre que les circonstances de la mort sont parfois fort différentes de la version officielle. Repéré par le directeur de l'Académie qui forme les juges, Cí y rencontre Astuce Grise, son jaloux ennemi qui s'approprie ses subtils rapports. Mais Cí, pourtant maintes fois battu, méprisé et humilié, est appelé au Palais sur ordre de l'empereur affolé par trois meurtres mystérieux. Confronté à de très hautains dignitaires et à Astuce Grise qui a pris du galon, Cí retrouve le juge Feng des débuts et, au terme d'un procès où il joue sa vie, fait éclater l'incroyable vérité.
Sur une période de près d'une dizaine d'années, ce qui est déjà assez périlleux, Antonio Garrido veut mêler l'aventure à la détection dans un pays et une époque fortement "exotiques". Du coup, à la lecture, toutes les péripéties qui se déroulent avant la grande enquête sur les trois cadavres du Palais impérial, apparaissent comme un empilement d'aventures écrit à la façon des romans-feuilletons avec moult personnages retors qui roulent des yeux, crient et donnent des coups de bâton. Le garçon couvert de cicatrices et insensible à la douleur (c'est une maladie rare appelée CIPA, nous apprend l'auteur dans sa note) passe son temps à se prosterner, à fuir, à trembler, à trouver de quoi vivre, tout en s'occupant de sa sœur handicapée. Si bien que lorsqu'elle meurt enfin, le lecteur noyé par le mélo deuxorphelinesque soupire de soulagement : le héros a désormais les coudées plus franches et il va économiser des larmes. Mais survient un coup de théâtre : le lecteur comprend aux deux tiers du roman que ces aventures ne sont pas du remplissage (il aurait bien aimé le deviner avant !) car l'auteur va en faire une seconde lecture à l'occasion de l'enquête finale. Par exemple, une horrible scène d'émasculation d'enfant à laquelle a assisté Ci prend sens avec le genre d'un des trois cadavres qui n'est pas celui d'une femme mais d'un eunuque. Du coup, même l'histoire sublime des mouches dénonciatrices du début a une autre explication !
Sur la longueur, le romancier espagnol n'atteint pas la maestria du Russe Boris Akounine car le style reste relativement scolaire, empesé par son mélodrame et les gesticulations des personnages. Il rend compte toutefois de la cruauté et de la servilité entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l'ont pas. La meilleure note réside dans ses "lectures de cadavres", toutes absolument fascinantes. Le lecteur est détaché de la morbidité pour se concentrer sur les palpations, les frottis au vinaigre et les insertions d'objets divers dans les plaies. Les déductions et les commentaires constituent autant de grands moments et le retournement final (à coup d'ancêtre du pistolet !) vient boucler ce trop long roman avec fulgurances.
Citation
Le jus de chat était en effet un revigorant [...] Si un jour tu as pressé une orange, tu pourras imaginer le procédé, lui expliqua la femme en lui servant un autre verre. On attrape un beau chat et on lui brise les os avec un marteau en prenant soin de ne pas lui écraser la tête afin qu'il reste vivant. On le laisse reposer un peu et on met le feu à ses poils. Puis on l'ébouillante et on l'assaisonne à son goût. Après une heure de cuisson, on filtre dans un pichet et voilà.