Contenu
Poche
Inédit
Tout public
Roadtrip sanglant
À la question que je lui posais alors qu'il m'avait proposé de chroniquer cette novella d'Olivier Bordaçarre ("Je veux bien, mais est-ce que c'est polar ?"), Gilles Marchand me rétorqua : "Il y a un flingue en couverture donc c'est polar." Le raccourci est l'apanage du critique aussi cette répartie réussit-elle à me convaincre même si, par la suite, un autre ami me démontra par A + B que Seuls les indomptés, film de David Miller avec Kirk Douglas, ne pouvait pas être un western puisqu'il y avait en arrière-plan de l'affiche un hélicoptère. Or, c'est bel et bien un western...
Alors qu'est véritablement Protégeons les hérissons ? Tout d'abord un tract parlant qui s'affiche page 43 aux deux tiers d'un ouvrage de deux textes qui se font écho, et qui explique le caractère protégé de ce "nuisible épineux". Ensuite, puisque moi aussi j'ai le droit de déstructurer ma chronique l'ouvrage se conclut avec un texte paru en juillet 2012 pour le numéro spécial du Point en partenariat avec Alibi, "La Crim". Publié sous le titre Tueurs nés, il retrace la tuerie commise en 1994 entre la place de la Nation et le bois de Vincennes par deux adolescents amoureux manipulés. Les similitudes - même si l'on est là dans de la non fiction imaginée - sont évidentes, et les deux textes se complètent judicieusement, et montrent que l'affaire a au minimum fortement intrigué l'auteur.
La longue nouvelle chorale Protégeons les hérissons est une suite de procès verbaux qui consignent les témoins morts d'un roadtrip sanglant de deux sœurs qui ont volé une voiture de police et qui partent affronter leur mort en un moment exutoire. Si la chronologie des faits est quelque peu déstructurée c'est avant tout pour garder le suspense sur les motivations des protagonistes qui nous apparaissent de prime abord comme des paumées qui multiplient les actes criminels gratuits, mais peu à peu le lecteur perçoit l'indiscernable et se prend d'affection pour ces adolescentes tardives fugueuses et ce d'autant plus que les morts qu'elles sèment ne sont pas ce que l'on pourrait qualifier de sympathiques (hormis la première). Tous les acteurs s'escriment à mettre en avant des défauts majeurs (sexisme, racisme...) en des tons qui alternent entre style administratif et langage plus que familier. Le Laguiole du crime inaugural (dans le texte) a déjà servi lors d'un parricide qui tire sa sève de la sève d'un père incestueux et d'une mère aveuglée par sa foi. Il est le premier instrument d'une série qui va conduire à onze morts dont celles d'un chien et d'un hérisson, qui témoigneront post mortem, jusqu'à ce que le lecteur relie les fils d'une intrigue somme toute socialement d'une banalité affligeante.
L'auteur, lui, a pris le soin de parfaire sa narration et de multiplier les styles avec un joli résultat : ce texte sec et incisif se rapproche de ceux d'un Frédéric H. Fajardie inspiré, de l'époque des Gentil, Faty ! et autre Nuit des chats bottés. Une réussite certes un peu onéreuse, mais après tout le lecteur est prêt à payer trois fois plus cher pour huit fois plus de pages insipides...
NdR - Le recueil comporte les deux textes suivants : "Protégeons les hérissons" & "Jeunesse de plomb".
Citation
Honte de mon visage moins attrayant que quand il ne meurt pas. Aspect des choses fort désagréables. J'ai comme été surprise dans mon intimité. Mourir est quad même une occupation privée !