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Réalisme indien
La trame est à la fois simple et ordinaire : Kali est une fillette de dix ans qui a subi le divorce de ses parents, Rahul et Shalini. Rahul passe la prendre un après-midi, seulement il a à faire dans un appartement, et l'abandonne à peine quelques instants. Un homme masqué qui propose des ballons avance telle une menace vers le pare-brise. La suite est d'une crudité évidente. Kali est enlevée, et débute une course-poursuite contre son ravisseur. Sauf que l'on est en Inde, dans la jungle urbaine de Bombay, et que le réalisateur, Anurag Kashyap, est bien loin du Bollywood qui fait tant rêver chaque Indienne et chaque Indien. D'ailleurs, son intrigue s'appuie sur trois faits divers. Qui a déjà été en Inde comprendra à quel point la satyre de la société est profonde et d'une précision chirurgicale. Le film est noir comme la crasse des ruelles, implacable quand il parle aborde les mœurs et coutumes, d'un humour mordant dans sa façon de dépeindre des scènes qui pourraient faire pleurer de rage. Pendant deux heures étourdissantes, le réalisateur indien propose une galerie de personnages animés par leur amour de l'argent (seul garant d'une élévation sociale dans un pays où officiellement les castes n'existent plus) et leur dépendance au téléphone portable. La première scène dans un commissariat où Rahul, très bel homme mais médiocre acteur en non devenir, après avoir dénoncé l'enlèvement de sa fille, est "forcé" d'expliquer à un commissaire de quartier comment rattacher une photo à un contact sur un téléphone portable, est très révélatrice. Mais elle n'est que la première. Comme il le dit si bien en bonus, Anurag Kashyap aime regarder ce qu'il y a de plus noir dans l'espèce humaine, et prend un malin plaisir à remuer le sordide même si cela doit déplaire. En Inde, le cinéma est avant tout un divertissement. Les intrigues sont classiques et à l'eau de rose. Les acteurs s'arrêtent de jouer quand la musique commence et qu'avec elle sonne l'heure de chanter et de danser. Dans Ugly, c'est une tout autre histoire. L'influence du film noir américain est présente. La musique colle à la trame et la trame colle à la violence sordide du quotidien. Il y a en filigrane une histoire de triangle amoureux, car c'est là le plus vieux ressort du cinéma avec la trahison. Mais aussi la critique des convenances, et surtout l'omniprésence de la corruption et de la flagornerie mise au service de tout un lot de personnages égocentriques, blessés et meurtris qui vont être balancés les uns contre les autres. Le réalisateur parvient également à insuffler cette force révélatrice d'un pays-continent symbolisée par cette police aux abois sortie de sa léthargie première - normal, l'enfant enlevée a été adoptée par l'un des chefs en vue de la police, véritable psychopathe des écoutes téléphoniques au comportement ambigu) qui met tout en œuvre pour la récupérer : menaces et tortures forment un lot courant, l'économie des moyens n'est pas de mise. Le contraste est saisissant entre deux Indes convergentes, l'une tournée vers son passé, l'autre vers son avenir. La fin n'est absolument pas digne de Bollywood. Le happy end n'est pas de mise, et sous le thriller psychologique se cache des drames émotionnels forts. La réalité sordide laissera un gout amer sur la bouche... Ugly est une sacrée bonne surprise dégottée par Blaq out !
Ugly (121 min.) : scénarisé & réalisé par Anurag Kashyap. Avec : Rahul Bhat, Ronit Roy, Tajaswini Kolhapure, Vineet Kumar Singh, Surveen Chawala, Siddhant Kappoor...
Bonus. Entretien avec Anurag Kashyap, réalisateur du film.
Interdit - 12 ans
Citation
On cherche tous à retrouver Kali : toi, moi et la police. C'est ta fille mais c'est aussi la mienne. Préviens la presse et on a aucune chance de la retrouver vivante.