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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais par Christine Laferrière
Paris : Christian Bourgois, novembre 2014
524 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-267-02701-3
Poison domestique
On ne se souvient plus combien l'arsenic était présent dans tous les foyers au XIXe siècle. Non seulement dans les inévitables papiers tue-mouches mais aussi dans les lotions, parfums, produits d'entretien, savon, bougies, colles etc. Ce siècle fut aussi celui de l'industrialisation massive et de la mise en place des produits manufacturés de consommation grâce aux liaisons ferroviaires et à l'explosion de la presse truffée de réclames. Aussi est-il naturel que nombre de criminels se soient servi de ce véhicule de mort bien retors puisque ses symptômes passaient très souvent pour des dérèglements intestinaux.
Kate Colquhoun s'empare d'une affaire criminelle de 1889 qui a défrayé la chronique mondiale puisque l'accusée était américaine. En excellente historienne à la plume alerte, elle en profite pour dresser un panorama subtil de la condition féminine dans le milieu bourgeois alors en pleine ascension au détriment du vieux monde des nobles. Florence a dix-neuf ans quand sa mère, la truculente baronne de Roque, la présente, lors d'une croisière, à James Maybrick, courtier en coton installé à Liverpool. Séduit par les charmes de la jeune fille et ceux de sa dot à venir, le fringuant célibataire compte près de vingt-quatre ans de plus qu'elle. Il l'épouse et l'installe dans une belle maison avec plusieurs domestiques. Deux enfants naissent mais six ans plus tard, c'est la catastrophe. Maybrick qui entretient une maîtresse depuis toujours et doit tenir son rang et ses érections au sein d'une société avide et soupçonneuse qui rejette quelque peu sa jeune femme, abuse de drogues en tout genre dont des fortifiants à base d'arsenic et de strychnine. Quand il tombe malade et que sa femme joue avec les fioles dispersées dans la maison tout en se préparant des lotions pour la peau en faisant tremper des papiers tue-mouches dans de l'eau de sureau, la nourrice puis les bonnes s'interrogent. Alors que les médecins se succèdent avec de nouveaux traitements, de rémissions en rechutes l'état de Maybrick se dégrade au point que son frère aîné intervient, enferme l'épouse, évacue les enfants, emploie d'intraitables infirmières et prévient la police quand tout s'achève par la mort. Il sera dit que l'arsenic déjà présent dans le corps de Maybrick grâce à ses fortifiants n'attendait que de déclencher ses effets par l'arrêt des prises. Pourtant, ce n'est pas cette version qui est retenue quand Florence Maybrick est déférée devant le tribunal.
En 1884, Catherine Flanagan et sa sœur Margaret Higgins ont toutes les deux été pendues pour avoir empoisonné leurs victimes à l'arsenic extrait de papier tue-mouche tandis qu'auparavant, en 1875, Mary Ann Cotton a subi le même sort pour avoir empoisonné, au savon farci d'arsenic, trois maris et douze de ses enfants. Florence Maybrick, jeune et belle bourgeoise déclenche les passions car il est avéré qu'elle a eu, en plus, des relations avec un amant lors d'un court séjour dans un hôtel. Son statut, sa beauté, ses cris d'innocence et surtout la présence de la dangereuse pharmacopée de Maybrick réussiront-ils à la disculper comme le fut, en 1886, l'adorable Adélaïde Bartlett (née Adelaïde Blanche de la Trémoille) accusée d'avoir empoisonné au chloroforme son mari de dix ans son aîné ? Rien n'est moins sûr car l'accusation et les témoins à charge fourbissent leurs armes sans oublier les experts en tests...
Dans le genre victorian criminal non fiction, Kate Colquhoun est une valeur sure avec sa consœur Kate Summerscale. Elles sont d'ailleurs toutes les deux traduites chez Christian Bourgois qu'on encourage à publier de nouveaux titres. Certainement un peu trop exhaustive, surtout lors du procès, Kate Colquhoun se sert de cette affaire pour brosser un passionnant état des lieux de la bourgeoisie enrichie par le travail et, à travers lui, la position des épouses, soumises par les corsets et les maris qui les laissent soit disant régner sur leur intérieur alors qu'il s'agit d'une délégation à des domestiques revendicatifs car conscients de leur statut de travailleurs. Alors, comme Emma Bovary, les jolies bourgeoises rêvassent et flirtent. Kate Colquhoun nous conte ici la descente aux enfers d'une pauvre petite fille presque riche prise en tenaille entre son devoir et ses aspirations, rejetée puis soutenue par le peuple. Un livre dense pour public averti avec des notes, une bibliographie et un index thématique époustouflants.
Citation
Le mystère Maybrick contenait plusieurs puissants ingrédients : la mésentente conjugale, l'engouement mal placé d'une jeune épouse américaine, des domestiques déloyaux, des amis singulièrement perfides, des policiers qui fouillaient des placards à linge, un tourbillon de lettres et de télégrammes interceptés.