Contenu
Poche
Réédition
Tout public
218 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978- 2-07-041963-0
Coll. "Policier", 234
Vengeance d'une ceinte
1984. Nous avons brûlé une sainte n'est que le deuxième roman de Jean-Bernard Pouy, mais c'est assurément l'un des meilleurs. Œuvre picaresque, farce macabre, road book sur fond de vengeance, intrigue onirique : tout est réuni pour faire de cet ouvrage l'un des plus réussis de sa génération. Pourtant, l'intrigue sonne classiquement. Anna a bien failli se faire violer par des touristes anglais (aujourd'hui, le viol serait d'ailleurs avéré). Elle y a perdu beaucoup, surtout moralement, et y a gagné une rotule fracassée et une claudication, qui ajoute à son charme. Avec son frère et deux amoureux (presque) transis, elle se lance dans une vengeance qui trouve résonance dans l'Histoire et les pérégrinations d'une certaine Jeanne d'Arc boutant les Anglais hors de France.
Deux cent dix-huit pages et quatre-vingt-dix-neuf chapitres donnent du rythme au roman. On passe d'un personnage à l'autre avec fureur. On découvre le plan ourdi par une jeune fille désorientée et désaxée en même temps que ses condisciples et quelques flics qui tentent de rivaliser d'intelligence. On revisite surtout l'Histoire de France, et si dès le début on s'amuse d'une rencontre tarte à la crème avec le consul anglais, très vite on plonge dans un bain d'hémoglobine dont on ne pourra remonter. Anna surnomme son frère Gilles de Laval dit Gilles de Rais. Ses amoureux, elle les affuble d'un Étienne de Vignoles dit La Hire et d'un Jean Poton sire de Xaintrailles. Les deux premiers nommés sont riches et orphelins. Les deux derniers sont simplement déracinés. À eux quatre, ils commettent crimes de sang sur crimes de sang. Anna ou Je-Anne alerte la police avec des lettres où plane l'ombre d'Arthur Rimbaud. Le lien entre le poète français et la pucelle d'Orléans mettra du temps à être établi logiquement. À mesure que les actions du groupuscule se multiplient - Anglais, Bourguignons, homonymes malheureux... - l'étau se resserre. La confrérie aux abois, soudée, ne tarde cependant pas à éclater. Ses membres sont les uns après les autres neutralisés. L'histoire se joue à la fois sur de petits riens et sur l'obstination crasse d'une jeune femme meurtrie dans sa chair. Pendant ce temps, malicieusement, un satellite se rapproche dangereusement de la Terre. La trame ne serait pas complète sans l'existence d'un trio amoureux aux contours flous, avec beaucoup de hargne et de tendresse. On découvre un romancier qui sait parfaitement écrire des scènes sentimentales exacerbées. À l'aise avec ses personnages, leurs pensées et leurs affres. Jean-Bernard Pouy ouvre une brèche dans la littérature policière dans laquelle Frédéric H. Fajardie ne manquera pas de s'infiltrer. Il donne vie à Patrick Raynal et à Daniel Pennac, qui deviennent protagonistes de son propre roman. Il multiplie les effets de style, écrit de la poésie, sombre entre rée et irréalité, amuse et cultive, est brillant et nous en offre le reflet. La construction est éblouissante. Plus de trente ans après sa parution, le roman n'a pas pris une ride. On aurait même tendance à écrire qu'il s'est bonifié. Assurément, Nous avons brûlé une sainte est l'un des plus grands romans français de ces cinquante dernières années.
Citation
C'est dans le mouvement qu'on fait les meilleures courses. Rien n'est aussi grand que l'indécision.