Contenu
Poche
Réédition
Tout public
158 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978- 2-07-040675-X
Coll. "Policier", 25
Train dévie
Marcel n'a pas pris la peine d'observer les voyageurs autour de lui dans ce train qui l'emmène tout droit retrouver la grisaille jésuitique de son bahut de La Rochelle. Adolescent, la quinzaine, il se retrouve pourtant peu après nez à nez avec une vieille d'un quart de siècle bien passé d'au moins une année, dans une position inconfortable. Le train a eu un accident, et sa compagne d'infortune se découvre une pointe en acier dans le dos, projetée contre lui. Pour son sixième roman, l'écrivain Jean-Bernard Pouy offre à ses deux protagonistes une position des plus inconfortables (et qui ne manque pas de piquant) pour une intrigue relevée. Si le premier quart du roman traite des longues minutes d'attente avec une sensualité qui s'exacerbe et des petits tracas qui s'accumulent (morve et pisse), les trois suivants nous plongent dans un road book dont le romancier a le secret. Mais revenons au pourquoi du titre. Il s'explique par une tension grandissante. Marcel ne peut bouger sous peine de cruellement faire souffrir Marie-Claude. Cela étant dit, l'attente est insupportable et les deux personnages de cette histoire tantôt s'embrassent, tantôt se chamaillent. Un moment d'une vive douleur pousse Marie-Claude à mordre ce qu'elle a sous les dents : une oreille (laissant plus tard Marcel se demander si oui ou non elle l'a mangée, et si oui ou non elle s'est retrouvée dans ses fesses). Non, L'Homme à l'oreille croquée n'est pas un bête et gratuit hommage à Tintin !
L'écrivain joue avec le hasard, et dans cette histoire, le hasard a beaucoup à dire. En effet, Marie-Claude ne s'appelle pas réellement Marie-Claude. De son vrai nom Arlette Classeau, c'est une prostituée qui a dénoncé son proxénète. À partir de là, il va y avoir une double poursuite. Celle de gangsters qui courent derrière Marcel qui coure lui-même derrière Marie-Claude. Pourquoi ? Parce que le garçon est un romantique, et qu'il est tombé sous le charme à tout le moins de ses lèvres et de sa langue, et puis aussi parce qu'une mystérieuse Mercedes noire avec un mafieux et son loubard d'acolyte joue la menace. Seulement, dans le registre chevalier qui va au secours de sa dulcinée, il y a quelques omissions et transformations, et beaucoup de faux-pas. Marcel n'a que quinze ans, et Jean-Bernard Pouy lui offre une personnalité à la hauteur de son âge. L'écriture est parfois enfantine, et rehaussée de culture. L'intrigue est à son comble lorsque les deux protagonistes de l'accident ferroviaire se retrouvent. C'est le moment idéal pour faire réapparaitre quelques méchants particulièrement sadiques qui vont eux aussi savoir ce que souffrir veut dire. Car Marcel tranche dans le vif du sujet avec des réflexes salvateurs. Il joue de la fronde comme de la machette. Et puis il a sa tête des mauvais jours. Les silences ne sont pas uniquement dus à la bouderie. Il y a aussi un traumatisme. Un traumatisme que n'arrangera pas cette garce de Marie-Claude. Elle se révèlera ambiguë et se la jouera perso jusqu'à ce que le danger la dépasse. Le roman est rapide, original, le style est alerte, et puis il y a ces rebondissements et ce lexique jouissif. Enfin, il y a ce final caustique avec bain de minuit tarifé histoire que le gamin ne garde pas toutes ses illusions. C'est du cent pour cent Jean-Bernard Pouy, et c'est tout simplement brillant.
Citation
Mais je n'aimerais pas être devenu impuissant, j'ai lu un truc horrible sur un impuissant, en troisième dans un roman de Sartre. Horrible. Ce qui prouve que les Jésuites ne nous font pas uniquement lire les Zapos Kriffes, comme dit Éric. Peut-être parce que c'est que Marie-Claude qui m'a pissé dessus. Une nouvelle forme de Sida.