Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit du portugais (Brésil) par François Rosso
Paris : Folio, mars 2015
312 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-046228-5
Coll. "Policier", 760
Écrire, empoisonner, tout un art
Les amateurs de romans policiers connaissent Gaston Leroux, ne serait-ce que par sa série avec son personnage de journaliste-enquêteur Rouletabille, et au moins par Le Parfum de la dame en noir. Les amateurs, ou les lecteurs/spectateurs plus âgés se souviennent peut-être des adaptations de La Poupée sanglante ou de Cheri-Bibi. À côté de ses œuvres célèbres, il existe un petit roman qui a conservé un charme désuet (et qui a été l'occasion lui aussi d'une adaptation télévisée). Le Fauteuil hanté, puisque c'est de lui qu'il s'agit, évoquait la disparition successive d'académiciens et était un véritable jeu de massacre des institutions littéraires parisiennes. Jô Soares a-t-il eu vent de ce roman ? Toujours est-il qu'il nous présente dans le sien, une curiosité brésilienne. À l'instar de la France, le Brésil s'est offert une académie qui a le mérite d'aller dans son imitation jusqu'à l'habit à dorures et à l'épée avec les mêmes manœuvres de paon vaniteux pour y entrer. Il va même se permettre une ironie supplémentaire car tout commence avec l'élection récente d'un nouvel académicien qui a justement écrit un roman policier intitulé Meurtres à l'académie.
Lors de son discours de réception, cet académicien est foudroyé à son tour. Quelques jours plus tard, à son enterrement, un deuxième académicien s'écroule, et c'est le début de la panique... L'autopsie révèle qu'il y a bien eu meurtre par empoisonnement. Le commissaire Machado, fin lettré, est chargé d'enquêter. Mais dans la jungle littéraire, il y a tellement d'envieux et de requins aux dents longues cachés sous les habits d'honnêtes poètes épris d'Idéal, que les investigations sont lentes. En même temps, il y a urgence car s'il reste encore des académiciens vivants, le tueur n'aurait-il pas envie de faire un nettoyage collectif ?
Comme pour le précédent roman sorti en poche, Les Yeux plus gros que le ventre, Jô Soares joue avec soin de l'humour. Un humour discret et bien policé au sein d'intrigues classiques où nous suivons en alternance les enquêtes du policier, les pensées du tueur, et les activités de certains protagonistes. Ici, le tueur est aussi le dernier représentant d'une secte ancestrale d'empoisonneurs qui ont parsemé l'histoire de quelques jolis cadavres. On rencontrera également quelques femmes fatales ainsi qu'un nain tailleur qui a du mal à se faire payer ses costumes d'académiciens. Le texte est entrecoupé d'extraits de journaux pour renforcer le côté historique et offrir d'autres contre-points ironiques (le roman se situant en 1924, au moment d'une des dictatures qu'a subi le Brésil, les journaux retranscrivent de manière déformée par l'idéologie les faits réels).
Meurtres à l'académie ne joue pas dans le comique racoleur ou vulgaire, mais dans une ironie de bon ton qui sait faire rire des petits travers des uns et des autres, qui sait tirer d'une situation, y compris dramatique (l'assassinat de gens) les petits éléments qui feront sourire, dans une atmosphère et style léger, entre Woody Allen et Jacques Tati. Là où Gaston Leroux avait tiré vers la fantastique, Jô Soares tire vers une douce satire, comme si ces académiciens étaient déjà eux-mêmes parodiques. Le lecteur appréciera cette petite bouffée optimiste au milieu de la noirceur du polar (et du monde) actuel.
Citation
- Je croyais que ces manigances étaient une habitude brésilienne...
- Allons donc ! Notre académie est une réplique de la Française, telle que l'a créée Richelieu. Nul doute que là-bas aussi on fait parfois bon marché du talent.