Contenu
Un assassinat de qualité
Poche
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais par Delphine Rivet
Paris : 10-18, mai 2015
360 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-264-05875-1
Coll. "Grands détectives", 4938
Actualités
- 10/06 Auteur: Un intérêt particulier pour Ann Granger
Les éditions 10-18 dans leur collection "Grands détectives" ont sorti une nouvelle victorienne de son chapeau. A priori, rien de nouveau à la lecture de la quatrième de couverture de Un intérêt particulier pour les morts de la romancière anglaise Ann Granger, Anne Perry ayant déjà livré des tombereaux de titres semblables depuis son ermitage écossais. "Londres 1864, Lizzie Martin accepte un emploi auprès d'une riche veuve dont la précédente dame de compagnie s'est enfuie avec un inconnu. Mais quand le corps de la jeune fille est retrouvé dans le chantier de la gare de St. Pancras, Lizzie décide de mener sa propre enquête. Elle pourra compter sur l'aide d'un ami d'enfance devenu inspecteur, Benjamin Ross, pour découvrir la vérité sur la mort de cette femme... dont le sort semble étroitement lié au sien." Voilà une quatrième de couverture, on ne peut plus passe-partout et qui pourrait même convenir pour un Harlequin historique ! Cela reflète l'ambivalence d'Ann Granger qui épouse les types et les structures du genre tout en s'en écartant avec talent car la dame a justement écrit pour Harlequin !
Ann Granger, née en 1939, a fait carrière chez les fonctionnaires d'ambassades dans le monde. C'est une professionnelle qui s'est fait la main dans la romance historique sous le nom d'Ann Hulme. Le Dragon d'azur, Un scandaleux marché, Faussaires et aventuriers sont quelques titres des quatorze Harlequin série Royale qui ont été traduits entre 1979 et 1991 date de son premier roman policier. Rapidement étiquetée Traditional British fiction, notre romancière s'est lancée dans des séries avec couples : Meredith Mitchell (attachée ambassade)/inspecteur Marky (quinze titres), Jess Campbell (inspectrice)/Ian Carter (superintendent) (trois), Lizzie Martin/Ben Ross (quatre). Sept titres sont consacrés à Fran Varady, une actrice loser. Dans les années 2000, les éditions Liana Levi ont traduit quatre ouvrages (Dîtes-le avec du poison, Danger de mort, Ci-gît la femme de mon amant, Cimetière à vendre) tous d'une simplicité remarquable. C'est le moment de les ressortir car, à la lecture de Un intérêt particulier pour les morts on est fasciné par la mise en place du scénario de la romancière. Deux narrateurs se partagent le livre (une pauvre gouvernante et un inspecteur) et tous les personnages secondaires, comme le cocher du tout début seront employés plusieurs fois autour de cette gare de St. Pancras qui focalise l'attention. De fait, sa construction est l'enjeu du roman avec, notamment les magouilles immobilières qui se trament autour mais aussi la formidable industrialisation qui règne en Angleterre. Ann Granger tisse une bourse puis tire les liens pour éliminer le vide, concentrer les thèmes, souder les protagonistes. Si l'assassinat s'avère basique car ne débouchant sur aucune horreur de serial killer, c'est parce qu'il est crime de société. La vue actuelle et les codes maîtrisés constituent, ici, un miroir motivant de cette société victorienne. D'où cette vraisemblance débouchant sur la revendication d'un honneur féminin. Contrairement à beaucoup d'autres auteurs, Ann Granger en sait plus qu'elle ne dit. Pas de tartines documentaires pour elle mais un travail au point de croix, méticuleux, riche de connaissances, profondément humain.
Liens : Un intérêt particulier pour les morts |La Curiosité est un péché mortel |Anne Perry - 29/05 Édition: Parutions de la semaine - 29 mai
Mortes en crinoline
Toujours ches 10-18, voici donc le troisième titre inédit de la série "Ben & Lizz Ross" où l'inspecteur et sa femme ex-gouvernante sont (enfin) mariés et installés avec une jeune bonne un peu brouillonne. Comme dans les autres titres, ils prennent tour à tour la parole pour boucler cette nouvelle enquête dans les années 1860. Après Un intérêt particulier pour les morts, sur fond de magouilles immobilières autour de la construction de la gare St. Pancras, et La Curiosité est un pêché mortel qui aborde le thème du mariage forcé et du trafic de bébé, voici Un assassinat de qualité traitant de la montée en puissance de prédicateurs, du mariage de convenance, de la prostitution, thèmes récurrents chez Ann Granger.
Une nuit, dans un fog épais, l'inspecteur croise une prostituée terrorisée par le "Spectre", agresseur vêtu d'un linceul et d'un masque. Il apprend qu'une jeune et belle lady d'origine italienne a faussé la surveillance de sa gouvernante à la faveur du brouillard et s'est fait étrangler dans un parc. Parallèlement, Lizz découvre que sa bonne au cœur simple se rend en cachette aux sermons d'un prédicateur. Elle l'accompagne le lendemain. Une dame riche et une gouvernante de grande maison servent du thé et des petits gâteaux au peuple présent. Le lecteur comprend vite que la gouvernante de grande maison qui aide le trop beau prédicateur, est la même que celle qui chaperonnait la jeune lady étranglée à Green Park... Et voici, bouclés en une cinquantaine de pages, les tenants et les aboutissants du livre, son ambiance, son intrigue et ses sous-intrigues et tous les personnages ! Voilà une mise en place simple et claire.
C'est la plus grande qualité de Ann Granger. Elle privilégie une chronologie simple avec action directe et deux narrateurs personnages se partageant clairement l'enquête sans prises de tête documentaires mais avec des petites touches bien placées. Les deux points de vue des narrateurs Ross dynamisent le récit et permettent un resserrement de thématique sur les personnages symboles de Ann Granger. Ceux-ci sont vus comme suspects et témoins par l'inspecteur et comme membres d'une société inégalitaire par sa femme. La construction évidente de la romancière anglaise fait plaisir à voir à l'époque des gros pavés anglo-saxons. Et sa gestion des personnages secondaires, comme ici la prostituée Daisy revenant à des moments clés (début, milieu, fin) est impeccable. Même si, parfois, l'action fait défaut et que la fin n'est pas toujours à la hauteur, les romans d'Ann Granger sont des muffins légèrement beurrés de marmelade à déguster dans un bon fauteuil. Avec un thé à portée, bien sûr.
Citation
Son regard avait quelque chose de désinvolte et d'implacable à la fois. Elle me faisait songer à un chat s'amusant avec une souris.