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Grand format
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch
Paris : Philippe Rey, mai 2015
332 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-84876-463-4
Apparences trompeuses
Un petit couple moderne dans une petite ville de province américaine. Suzanne Maretto se prépare à investir le monde du journalisme télévisé. Son mari qui la vénère est un restaurateur dynamique. Ils ont tout ce qu'il faut et, en attendant d'être suffisamment assis dans la vie pour fonder une grande famille, ils promènent le chien. Pourtant, un soir, le mari est retrouvé mort, assassiné par des cambrioleurs.
Ce fait incontournable est le seul dont on ne discutera pas dans le roman la réalité : le corps sans vie, ensanglanté, d'un homme amoureux, tué dans sa maison modèle. Pour le reste, Joyce Maynard, qui a travaillé d'après un fait divers, va exposer les prémices et les suites de ce meurtre à travers les voix de différents protagonistes du drame. C'est de facture classique, mais très efficace, surtout que le texte a pour vocation de présenter l'envers du décor, le sordide sous les paillettes, et il est bien évident que les contradictions des discours juxtaposés participent de cette démolition du réel.
Deux axes de son travail attirent plus particulièrement l'attention, deux axes qui d'ailleurs se recoupent. Le premier dresse le portrait de Suzanne, l'épouse éplorée. Comme dans le roman de d'Emmanuel Carrère sur l'affaire Romand, Romand vrai, c'est toute la trajectoire d'une manipulatrice qui se déroule sous nos yeux. Brillante, mais sans plus, elle sait s'entourer d'êtres falots qu'elle subjugue, soudoie, utilisant toutes les armes dont elle dispose, y compris la sexualité. Le portrait d'un être qui calcule sans fin, qui se débrouille pour avoir la trajectoire parfaite, qui compulse les réussites d'arrivistes pour reproduire la courbe ascendante que d'autres ont empruntée.
En parallèle, et le doute pourrait subsister, Suzanne accomplit tout le parcours de la combattante : majorette, responsable de sa classe, secrétaire modèle, chirurgie esthétique pour se refaire un nez, surveillance pondérale, en s'appuyant régulièrement sur des vedettes journalistiques de la télévision américaine. Mais le fait-elle comme un plan de carrière cynique ou bien est-elle elle aussi la victime de cette société du spectacle dant laquelle elle baigne si bien qu'elle en a assimilé les codes mais pas forcément l'essence ?
À cet égard, la scène où elle accapare les caméras pour faire pleurer les chaumières après la mort de son mari est symptomatique de cette ambivalence - joue-t-elle les larmes parce qu'elle veut détourner l'attention de sa propre responsabilité dans la mort de son mari ou parce que c'est ainsi que doivent fonctionner les fraîches veuves de maris assassinés ?
Joyce Maynard se contente de montrer, de présenter une situation, qui s'est déroulée en 1990, mais qui, depuis, a encore pris du poids de réalité, avec les conseillers en communication tout azimuts, et les émissions de télé-réalité. Prête à tout dévoile ce besoin envahissant d'être au cœur de l'attention, d'avoir un quart d'heure de gloire warholien perpétuel, sans en avoir les moyens. C'est un roman efficace mais qui montre ce qui est affligeant dans notre société.
Citation
Comme disait toujours Suzanne, on n'a jamais deux fois l'occasion de faire une bonne première impression.