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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch
Paris : Le Seuil, août 2015
204 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-02-116567-8
Coll. "Cadre vert"
Contre-courant du temps
Pour son premier roman, l'Indienne Deepti Kapoor propose une intrigue initiatique noire, urbaine et interlope dans un New Delhi étrangement déserté tant on a l'impression que ses personnages évoluent dans une ville statique et pourtant étrangement réelle pour qui a eu la chance d'y aller un jour. Son héroïne est une jeune orpheline de vingt ans. C'est-à-dire que sa mère est morte et que son père partit vivre à Singapour l'a abandonnée. Elle a été recueillie par Aunty, sa tante, qui n'a qu'un seul objectif, la marier si possible à un NRI - autrement dit un Non-Resident Indian, un Indien qui fort logiquement a émigré et fait fortune aux États-Unis. Pendant ce temps, la narratrice poursuit ses études et sillonne la ville au volant de sa voiture, jusqu'à ce qu'un jour, désœuvrée, elle s'arrête dans un bar où elle croise le regard de la seule personne masculine non morte de la ville. Un homme un peu plus âgé qui l'attire donc par ses yeux et ses manières, mais pas par son physique ingrat. Et pourtant c'est avec lui qu'elle va découvrir les joies de l'amour physique et les tourments de l'amour moral. Riche, sûr de lui, il va jouer avec sa proie, il va l'asservir, en faire sa chose qu'il entend pourfendre de son sexe à tous moments. Et il va lui apprendre à mentir avant de l'initier (encore plus) à l'alcool et (surtout) à la drogue - de la fumette au rail de coke. De cette relation déséquilibrée, va étrangement naître une autre force de volonté. La narratrice initiée va alors vouloir s'émanciper. Le prédateur va se retrouver démuni devant une proie rétive. Il va surtout, à force d'avoir joué à avoir des sentiments et ainsi avec renié ses propres sentiments, se détruire, se consumer jusqu'au suicide (alors qu'une jeune voisine mourra elle aussi mais d'avoir voulu vivre ses sentiments). C'est alors que la narratrice va s'engouffrer dans ses mensonges à lui, et plonger dans les vicissitudes de sa vie à elle. Sexe, drogue, alcool, mépris de soi et surtout mépris des autres. Le seul à trouver grâce à ses yeux, c'est Ali, le conducteur tardif de ce mauvais garçon. Un homme qui a vu son maître s'auto-détruire et qui est tout à son chagrin. Pour la narratrice, femme de plusieurs soirs du businessman, l'heure de la rédemption va sonner auprès de cette Aunty, image d'Épinal de la femme indienne soumise aux traditions, quelquefois retrouvée. Mais réduire ce roman à cette singulière intrigue serait une faute, d'autant plus que sa construction déstructurée et son absence de vrais dialogues nous fait plonger dans la boîte d'un puzzle avec des doigts qui nous montrent un à un des détails épars de cette aventure. Le roman est chronologiquement chaotique à l'instar du Gange tel qu'il est décrit par la romancière : "Le Gange est un fleuve qui va à contre-courant du temps." Et Deepti Kapoor en femme moderne dresse un portrait affolant de cette société indienne où la place de la femme est réduite à celle d'un animal que l'on préfère bafouer que respecter. La course-poursuite entre la narratrice au volant de sa voiture et deux hommes à moto avides de sexe est stupéfiante. On conserve le regard baissé, comme ces femmes qui ne peuvent observer à loisir la ville et tous ses habitants. Et pourtant, la narratrice est une observatrice féroce qui s'appuie sur la jolie plume imagée d'une romancière en devenir.
Citation
Malheureusement, quand il fait noir, Delhi n'est pas un endroit pour une femme, sauf si elle a un mec et une bagnole ou bien une bagnole et une arme.