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Édition chirurgicale
© Isabelle Roche
02 juillet 2009 -
Voici environ deux semaines, tandis que je dépouillais les divers courriels que l'on m'envoie afin que je puisse chaque jour, telle l'araignée sa toile (comparaison évidente, un lieu commun presque pour une "petite main" du web...) tisser le "fil d'actualités" qui se dévide sous forme de dépêches, je tombais, au détour de l'un d'eux, sur un terme qui tout de suite m'accrocha l’œil : le Carnoplaste. Mon imagination n'attendit pas de savoir de quoi il retournait ; elle s'emballa aussitôt, se fiant à son instinct étymologique, et s'emplit de représentations sinistres avec, en leur centre, un génie de Mal tripoteur de chairs qui, les mains dans la pâte sanguinolente, la pétrit à tour de bras au fond d’obscures caves d’où remontent par vagues des remugles douceâtres de viande putride. Elle n’était pas loin de la réalité, cette part fantasque de moi-même si prompte aux envols erratiques : quelques investigations rapidement menées ensuite m’apprirent que le Carnoplaste est un personnage de Gustave Le Rouge, le maléfique docteur Cornélius, inventeur de la "carnoplastie".
Mais alors... pourquoi une association apparemment inoffensive - et non seulement inoffensive mais engagée dans l'action culturelle à en juger par l'étonnant site web qu'elle a créé pour montrer un peu au public de quoi elle s’occupe – oui, pourquoi une association a-t-elle choisi nom si peu avenant pour s’autodésigner ? Poursuivrait-elle des buts répulsifs en plus d’être non lucratifs ? Ne trouvant en Toile guère de quoi satisfaire ma curiosité, j'y suis allée d'un très formel courriel demandant plus amples informations, assorti de deux ou trois questions benoîtement posées... Quelques heures plus tard, j'eus la surprise d'être appelée au téléphone par un correspondant se réclamant du Carnoplaste...
De la voix entendue au bout du fil, je dirai qu’elle était grave et agréable, alerte dans son élocution mais sans intonations exagérément marquées – jamais de "euhhh" intempestifs comme chez les timides ou les fuyants, pas plus que d’accentuations outrées sur certaines syllabes telles qu’on en croise chez ces orateurs voués à ce point à la harangue qu’ils s’adressent à leur voisin immédiat comme s’il s’agissait de lui enfoncer dans le crâne chacun des mots proférés. Bref : une voix assurée mais souple, avec quelque chose de convivial dans les inflexions indiquant, m’a-t-il semblé, que j’avais affaire à une personne rompue à s’exprimer en public ou, du moins, à soutenir une conversation relevée au sein d’une compagnie choisie. N’ayant pas, autant que je sache, hérité par quelque voie des talents déductifs de Sherlock Holmes, je ne me hasarderai à tirer de ces impressions aucune conjecture qui me permît de cerner plus précisément la personne qui pendant près d’un quart d’heure m’a entretenue du Carnoplaste et des êtres de chair qui, derrière cette identité d’emprunt, ressuscitent le feuilleton populaire à travers des fascicules aux bons vieux airs d’autrefois... très probablement en se marrant comme des baleines tous fanons à l’air. J’eus même droit à de juteuses révélations, à propos desquelles il m’a été demandé de garder le silence, ce à quoi je consens bien volontiers car répéter ici la moindre parcelle de ce qui m’a été glissé à l’oreille reviendrait à rompre ce qui justement confère son charme à l’entreprise carnoplastique : la très subtile manière dont ses initiateurs jouent entre publicité et dissimulation – masques et visages exhibés. Mon interlocuteur, maître donc en l’art d’expliquer tout en celant, me promit cependant l’envoi prochain d’une notule informative que je pourrai publier. Et en fait de "notule", je recevais un texte délectable que je ne pus me résoudre à utiliser comme un simple "matériau à dépêche"... aussi, avec l’accord de ma hiérarchie et de l’auteur, Robert Darvel, je la reproduis ici, altérée seulement par de menus aménagements typographiques. Peut-être à décrypter, peut-être à lire entre les interlignes des lignes, peut-être aussi à prendre au premier degré de sa lettre... elle est, de toute façon, jubilatoire – en diable allais-je écrire et, oui, je l’ai écrit !
Historique
Le Carnoplaste est un éditeur associatif. Son originalité ? Imprimer et diffuser des histoires sous forme de fascicules, comme s’il ne s’était rien passé de majeur depuis Toto Fouinard, Le Rouge, de la Hire et Boussenard. Sa tâche est ardue. Il lui faut fédérer autour du projet des auteurs sans notoriété aucune. Or un auteur qui n’est pas connu veut à tout prix montrer qu’il sait écrire. Au détriment de la péripétie. Pour arriver à ses fins, le Carnoplaste dispose d’un redoutable arsenal répréhensif. Voyez Robert Darvel : les six premiers fascicules Harry Dickson étaient entachés d’une insupportable affèterie. Quelque opération à même le cerveau du gratte-papier aura suffit à corriger le bougre de ces stupides velléités. Les fascicules 185, 186, 188 et 199 (pour paraître fin 2009) sont nettoyés comme os de la mauvaise viande littéraire. Enfin du feuilleton, du vrai. Il était temps !...
Dans l’atelier d’écriture, la réprimande a été suivie avec intérêt. (Seul Isidore Moedúns, le peintre, intouchable de par son statut, ricanait devant ses toiles). Léon Magroc, Arnoulds-Moreaux, et même Annette Gustave-Galopin, qui œuvrent de concert sur la série du Psychagogue (romans spirites, au-delà & lymphes subtils prévus début 2010) ont revu d’eux-mêmes leur copie, sans que le bistouri ait à enlever de matière ni à la page, ni à leur mignarde matière grise.
Pour la série de seize fascicules relatant les Aventures de Lady Wicker, le Carnoplaste s’est fendu d’une coquette stratégie : les fascicules ont été écrits avant que de trouver un auteur. Ainsi, pas de chirurgie inutile. Pas de tête dans le panier d’osier.
Pour Hebna Calde, point besoin de surveillance : le détective lui-même a livré ses cent quinze histoires. Rien à dire. Pas un mot de trop.
Pour répondre à vos questions précises, maintenant, chère Isabelle.
L’identité du Carnoplaste ? C’est un Criminel au visage vacillant, donc attendons l’autopsie ; les desseins véritables vous apparaîtront alors, pour peu que vous soyez capable d’investigation médiumnique bien entendu.
Comment situer l’affaire par rapport à d’autres passionnés ?
Vous citez Le Visage Vert. Ne peut-on voir, derrière ce patronyme, l’échec d’une opération de carnoplastie déguisé en hommage à Meyrink ? (Vert : greffe rejetée, le visage se détachera). Et puis le Visage Vert réédite des textes rares et forts intéressants. Le Carnoplaste, lui, fait écrire des feuilletons alertes et oubliables !
Comment sélectionnez-vous les séries de fascicules que vous allez publier ?
Pas de sélection : une injonction à produire selon un cahier des charges très rigoureux, en fonction d’une étude pointilleuse des Rêves et Agrégats Psychiques. Un volume du Psychagogue, par exemple, est né de la lecture de cette phrase trouvée tout à trac dans Le Prince Jéricho, de Maurice Leblanc : Tout dépend de la violence du choc subi. S’il n’y a eu que commotion cérébrale, c’est-à-dire simple ébranlement moléculaire de la substance – etc. Le lendemain Léon Magroc a été chargé de fournir quarante-quatre pages à partir de cet ébranlement moléculaire de la substance.
Prévoyez-vous de publier des bulletins critiques, ou analytiques à propos des personnages des séries ou de leurs auteurs ?
Nous n’en avions pas eu l’idée avant que d’entendre cette question. Des monographies sur les auteurs-maison, les personnages et les séries du Carnoplaste ? De ce pas, pour Noël 2010. Qu’aviez-vous de prévu ? Rien ? Vous les écrirez ; elles seront publiées sous le nom de Mme Tissevy-Sauyre, en hommage à Titaÿna.
Bienvenue dans l’atelier d’écriture du Carnoplaste.
Robert Darvel
Liens : Le Carnoplaste | Harry Dickson n° 202
Par Isabelle Roche