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Le Bassin d'Aphrodite
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu, Magny Telnes-Tan
Paris : J'ai lu, novembre 2015
416 p. ; 21 x 15 cm
Coll. "Grand format"
L'après Ubu
Pour échapper aux guerres qui ravagent l'Europe, Jonar Snefang est allé vivre avec son fils, Erlan (qui va fêter ses neuf ans, la mère est morte dans un accident), dans un village au fin fond de la Norvège pour y mener des recherches biologiques sur les galles. Il y rêve d'une femme, Ooni, qui traverse le désert après avoir assisté à des massacres de masse. Il est aussi l'objet de provocations sexuelles de la part de la jeune Hildra Huldeng, qui veut le forcer à lui faire un enfant. Après la visite de Mino, pilote de surveillance des incendies de forêt, qui lui apporte en cadeau de Gotwin Soleng (vieux chanoine défroqué, érudit et "grand pêcheur de gardons") un coffret richement décoré, leur ferme (et le monde entier) est soudain envahie par une végétation luxuriante. À partir de là, c'est le grand n'importe quoi. Il est question du génome humain, du devenir de la Terre, d'expression quantique, du nombre Pi, on relève aussi une scène d'auto-éventration pimentée de vampirisme suivie d'une auto-opération très réussie, un monastère cistercien (Eco es-tu là ?)... On comprend que cela suscite une réaction de la part d'un "kangourou étonné", on le serait à moins. Curieusement, pas de raton laveur, ni d'iceberg au centre du Sahara – mais tout de même un bassin. Puis le père et le fils s'embarquent pour traverser l'Europe à bord d'un hydravion (un Cessna 180), alors qu'ils n'ont jamais piloté. Le lecteur, lui... atterrit définitivement et s'éloigne sur la pointe des pieds pour ne pas déranger.
Le roman est rédigé à la première personne mais, de temps en temps, Gert Nygårdshaug se met en scène, à la troisième, dans la peau de "l'écrivain" (nul autre qu'Antoine de Saint-Exupéry, qui cherche à déplacer une grosse pierre – sûrement le rocher de Sisyphe !), nous avons droit à de longs extraits de manuels, d'articles scientifiques et de discussions érudites. Sans compter que l'enfant de neuf ans raisonne comme un prix Nobel en herbe et que l'on change parfois de point de vue au milieu d'une phrase. Le livre se veut en forme de serpent qui se mord la queue (tout ayant rapport avec tout) ou à l'image de cette structure faite de douze briques de cristal emboitables (ce qui donne 4095 combinaisons – ça fait beaucoup pour un lecteur) trouvée au fond d'une grotte du Tibesti qui aurait vu le passage de Saint-Exupéry ! L'imagination a pris le pouvoir, fort bien, mais aux dépens de tout le reste, car comment étonner encore le lecteur au bout de quelques dizaines de pages de cet acabit ? L'avantage d'un tel livre, c'est que l'on peut aussi bien le commercialiser comme roman policier (n'y a-t-il pas un cadavre quelque part, dans ce fatras ?) que d'aventures, de fantasy, d'amour, ou comme ouvrage de poésie (des passages sont écrits en vers), de science, de philosophie, de mythologie (ah, les mythes d'Aphrodite), voire de théologie ou encore comme "thriller écolo-terroriste" (dixit la quatrième de couverture). C'est LE livre universel. Mais, quand la parodie se parodie elle-même, c'est comme quand les bornes sont franchies : il n'y a plus de limites ! Et n'est pas Umberto Eco qui veut. À un moment, l'écrivain se demande si son texte est postminimaliste ou post-futuriste. Ne serait-il pas plutôt post-ubuesque ?
Citation
Le roman ne prend pas du tout la tournure prévue. L'idée de départ était qu'il s'intitule Pi. Un titre tendance et qui promettait quelque chose à la fois de minimaliste et d'infini.