Contenu
L'Assassin qui rêvait d'une place au paradis
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du suédois par Laurence Mennerich
Paris : Presses de la Cité, février 2016
382 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-258-13353-2
Du meurtre comme art de la rigolade
Lecteurs en quête d'un bon polar, passez votre chemin, le nombre des cadavres pourrait peut-être vous satisfaire, mais en aucun cas la recherche de l'identité du criminel et de ses motivations (comme quoi la présence du mot "assassin" dans un titre n'est pas une garantie). En revanche, si vous avez envie d'un bon moment de rigolade, ouvrez ce livre. Si vous n'êtes pas séduit à la page 20, c'est à désespérer de votre sens de l'humour. Oyez donc les aventures de Per Persson (nul n'est responsable de son patronyme, hein ?), qui s'associe avec Johanna Kjellander, pasteur licenciée par sa paroisse (eh oui, ça arrive, là-haut), pour aider Dédé le Meurtrier (alias Johan Andersson ; en France, ce serait Jean Dupont) à monter un petit commerce spécialisé dans la rude tâche de persuader les débiteurs de s'acquitter de leurs dettes. L'amour du prochain vous amène parfois à des conduites regrettables, n'est-ce pas ? On se doute que l'intrigue d'un tel livre (y en a-t-il une, d'ailleurs, et l'art de la digression n'est-il pas au cœur de l'écriture humoristique selon Tristram Shandy ?) ne se raconte pas. Sachez seulement qu'une telle activité pose de redoutables problèmes d'éthique professionnelle et exige un réel talent pour le marketing médiatique et la planification du développement (y compris "à l'international", comme on dit, mondialisation oblige). Dans ce domaine aussi, quoi qu'on en pense, il faut gagner son pain à la sueur de son front – au moins au sens figuré, comme toujours dans le secteur tertiaire. Mais hélas, les voies du Seigneur sont impénétrables et la grâce peut frapper à tout moment (en dépit des obstacles que tente d'y mettre un pasteur agnostique soucieux de ses intérêts bassement matériels). Et c'est parti pour une nouvelle entreprise commerciale, cette fois sous le signe du divin. La consommation du vin de messe à l'église n'étant pas réglementée, en Suède (les mauvaises langues diraient que c'est la seule chose qui ne l'est pas), de somptueuses perspectives s'ouvrent devant nos lascars. Plus belle la vie, là-haut aussi !
Rendu célèbre par Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Jonas Jonasson s'en donne à cœur joie avec une histoire mélangeant de façon savoureuse business, délinquance et religieux. Il suffit d'ailleurs de forcer un peu le trait dans les trois cas pour trouver des lignes de convergence. Et il est étonnant de constater à quel point le vocabulaire de l'un peut s'appliquer aux autres, ce qui prouve que ce n'est pas le fait du hasard. L'usage qui est fait des citations de la Bible le confirme, s'il en est besoin. On connaît aussi les vertus comiques de la logique poussée jusqu'à ses ultimes retranchements. Tout cela est fort bien exploité ici. Si jamais quelqu'un vient vous dire que les Nordiques n'ont pas d'humour et que leur littérature est triste, vous saurez quoi lui objecter. C'est à consommer avec plus de modération que le vin de messe dans le livre, mais on n'est pas loin de Whisky à gogo, des Copains (si cela dit quelque chose à certains) et autres classiques farcesques. Et c'est peut-être remboursé par certaines complémentaires au titre des antidépresseurs.
Citation
Personne ne voulait être découpé en morceaux, peu importe le nombre. Deux c'était déjà un de trop [...] Dédé exécuta cette partie du travail avec autant de soin (casser deux bras était plus facile qu'un seul : on ne risquait pas de se tromper de côté) [...] La catastrophe couvait car, s'il se mettait à lire des livres préconisant de tendre l'autre joue, lui dont le métier était de fendre des nez et des mâchoires le lundi, le mercredi et le vendredi... que resterait-il de leur entreprise ?