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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Dominique Chevalier
Paris : Jean-Claude Lattès, octobre 2015
414 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-7096-4693-2
Rumeur et épidémie comme autant de traînées de poudre
Pour certains auteurs, l'enquête policière ou la trame criminelle sont les meilleurs moyens d'entrer dans une description de notre époque et de décrire la lutte entre le Bien et le Mal, de mettre le doigts sur les plaies de la société, ses errements. Pour d'autres auteurs, le côté policier n'est qu'accessoire, voire secondaire, n'est qu'un moyen de donner un peu de chaleur et de vie à leur vision du monde ou à leur description de situations. Avec Fièvre, Megan Abbott va même un peu plus loin : sa trame "policière" est d'une légèreté qui tend presque à la disparition. D'ailleurs, on verra dans le cœur de l'intrigue passer une policière qui pose des questions mais qui ne sera jamais réellement présentée comme fonctionnaire de la police. Son statut restera en retrait et nul ne saura si elle travaille réellement pour résoudre l'affaire, confondre certains ou tenter d'étouffer des éléments peu ragoutants.Cela n'étonnera personne, mai tout commence avec une fièvre terrible assortie de convulsions qui fait tomber Lise au sol. Elle manque de mourir et se retrouve à l'hopital. Les plus folles rumeurs vont courir. Est-ce dû à l'inoculation d'un vaccin, rendu obligatoire par les autorités médicales, un vaccin qui touche à l'intime puisqu'il s'agit de vacciner des jeunes filles avant leur vie sexuelle pour éviter des risques de cancer ? Gabby ne tarde pas à être victime des mêmes maux. Or, avec Skye et Lise, les trois jeunes filles étaient les meilleures amies du monde. Aussi se pose une dernière question un peu folle : cette épidémie est-elle due au fait que les trois copines ont été se baigner dans un lac qui semble ne pas présenter toutes les garanties de salubrité nécessaires ? L'histoire du vaccin ouvre aussi sur d'autres interrogations : notamment sur la sexualité. Est-ce que ces fièvres qui abattent de jeunes filles sont liées à leur sexualité, à leur volonté de passer du côté obscur, du côté des femmes et des non plus des adolescentes ?
Le roman ouvre des pistes, ne tranche jamais, virevolte entre ses personnages féminins pour ne pas donner de solution. Son idée principale est de montrer comment une communauté va réagir à cette vague de suspicion et de rumeurs. Les jeunes filles se déchirent autour de leur sexualité naissante (qui l'a fait ? Avec qui ? Est-ce vrai ?) et des querelles normales de jalousie entre prétendantes. Les parents se disputent entre ceux qui croient à la bonté des autorités et celles qui voient des complots partout, entre les liens de fidélité (un des personnages doit-il réagir comme père d'une adolescente ou comme professeur de l'école qui a autorisé l'administration des vaccins ?). Si, au final, il y aura une explication à cette épidémie localisée, cela semble surtout destiné aux lecteurs qui attendent une solution, car l'essentiel du roman se situe dans cette lente description d'une crise et des "solutions" qu'apportent certains des protagonistes. Il faut apprécier ce genre d'ouvrages, centré sur une communauté (ici, principalement la middle class adolescente américaine) et sur l'angoisse sous-jacente (le passage à une sexualité active et les transformations qu'elle implique) pour apprécier pleinement ce roman sans beaucoup d'actions et de péripéties. L'amateur de littératures policières se rappellera qu'à ses débuts Megan Abbott était tournée vers l'écriture de romans plus noirs imbibés de culture issue des films noirs des années 1940. Ceux-ci étaient bien moins vendeurs outre-Atlantique. Nul doute que celui-là a trouvé sa bonne place sur les rayons des best-sellers.
Citation
Ils n'avaient pas le droit d'aller au lac. Personne n'en avait le droit. Pendant les sorties scolaires, les expéditions de scouts, ou les cours de science, on avait la permission de le regarder, de loin, derrière les grillages orange.