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Marquises mongoles
La Mort nomade clôt la trilogie de Ian Manook axée sur l'incorruptible commissaire de la police d'Oulan-Bator, le maintenant célèbre Yeruldegger. Le récit est un véritable choc noir autour d'un policier mongol dans son propre pays, confronté à la corruption et à l'antagonisme entre une civilisation nomade moribonde et les avancées fulgurantes du capitalisme le plus débridé. On se doutait bien que l'intrigue était sur une pente d'une telle noirceur (même les recettes de cuisine pour détendre l'atmosphère, à base de marmotte, renforçaient le côté glauque et exotique), et qu'il serait difficile de s'en sortir pour Yeruldegger. Toujours est-il que dans le présent roman il a quitté la police et qu'il veut renouer avec son "héritage" ancestral. Alors qu'il veut méditer tranquillement, le roman s'ouvre à un jeu de balancier : si la noirceur est toujours assumée, elle se contrebalance d'un aspect humoristique. Yeruldegger veut juste la paix et tous viennent vers lui, tout d'abord parce qu'ils ont besoin de lui, comme policier, puis comme guide, puis comme prophète prenant la tête d'une révolution contre les "méchants capitalistes" symbolisés par une société qui pille les réserves en minerais de la plaine mongole. Du coup, tous les personnages qui tournent autour de l'intrigue vont eux aussi oscille entre cette ironie et cette noirceur - un ex-sniper qui a décidé de reconstruire l'ancien empire mongol et qui applique les châtiments qu'avait inauguré Gengis Khan en son temps, une femme d'affaire qui se balade en Louboutin rouges sur les lieux de ses forfaits et tient l'ensemble des forces vives du pays par les couilles au sens propre comme au sens figuré du terme, une policière dépassée qui voudrait bien croire en la justice mais connaît la vraie musique des choses, un peintre venu au milieu du désert afin de peindre des paysages marins de la Bretagne, etc.
L'intrigue s'ouvre avec un point du désert vide. À peine Yeruldegger arrive-t-il dans le paysage que tout s'anime. Il y a des morts écrasés, un groupe de peintres en baguenaude, un camion citerne qui veut exploser, des gens qui partent à la recherche de minerais précieux creusant le sol jusqu'à s'y étouffer. Puis ce seront d'autres morts, l'arrivée d'agents secrets français car le pays a senti qu'il y avait peut-être de l'argent à se faire, un Ministre de l'intérieur mongol qui entend liquider des ennemis politiques à la faveur d'une crise populaire entre des ouvriers et la compagnie minière qui les emploie. Le récit tourbillonne, passant, de manière logique et lisible, entre différents protagonistes, pour tisser la toile d'un scandale touchant la Mongolie, mais montrant la froideur du monstre capitaliste et sa destruction lente, froide et raisonnée du monde. Face à eux, un policier embringué dans cette histoire, qui ne veut rien faire, juste continuer son pèlerinage mais se retrouve, grâce à Internet et une vidéo truquée, comme une sorte de Che Guevara moderne. Entre noirceur des scènes, plan diabolique qui ne sera dévoilé que dans un final étouffant, et éclats de rire - car le roman pourrait être une variante de L'Emmerdeur avec un homme qui veut juste développer sa paix intérieure et qui se retrouve confronté au chaos du monde. Derrière le rire (car l'humour est la politesse du désespoir et ce monde actuel ne peut être que désespérant !), La Mort nomade ressemble effectivement à une superbe pirouette, au salut final d'un artiste (nous parlons de Yeruldegger) et à un roman dans lequel nous retrouvons tout le bonheur qu'avait généré la première aventure (éponyme) de Yeruldegger.
Citation
La rédemption par la méditation ! Tu aurais du rester dans les égouts d'Oulan-Bator à te coltiner la lie de l'humanité.