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Trajectoires qui se heurtent
Entre langueur et violence, entre défaitisme et rébellion, Yanick Lahens promène ses personnages de Port-au-Prince à Médéquilla, et offre un roman poignant et humaniste.
Il y a au départ la mort du juge Berthier. On peut le considérer comme un homme intègre avec un idéal de justice qui ne peut s'accommoder de la corruption de l'île. Et si les idéalistes sont sûrs d'une chose, c'est bien qu'ils seront les perdants de l'histoire. Exit le juge Berthier et ses idéaux. Il a été séquestré trois jours durant lesquels il a été torturé avant d'être abattu de trois balles dans la tête. Mais la relève n'est pas loin. Déjà, il y a Brune Berthier, la fille du juge. Une jeune femme qui s'émancipe au côté d'une bande d'amis qui se nomment Wanel, Ézéchiel et Nerline. Eux ne le savent pas mais ils sont les archétypes d'une jeunesse désargentée dans une Haïti plus pauvre et donc plus corrompue que jamais. Ézéchiél, c'est un révolutionnaire dans l'âme. Nerline, une poétesse. Quant à Brune, elle est chanteuse. Et puis il y a trois personnages, trois jeunes gens aux antipodes les uns des autres. Tout d'abord Cyprien, le petit ami de Brune. Un avocat en devenir qui va s'acoquiner avec les politiques, et donc s'éloigner irrémédiablement de Brune. Ensuite, Joubert, un voisin d'Ézéchiel, nervis aux ordres du ministre de la justice, bref, un tueur à gages. Enfin, Francis, le journaliste français envoyé en reportage, qui est peut-être lui aussi idéaliste (du moins en apparence), mais également pragmatique, comme si l'Occident était tombé dans un réalisme cru et fade. C'est cette jeunesse qui défile sous nos yeux à travers des pages empreintes d'une douce poésie. Des jeunes qui s'éclatent et qui éclatent en trois groupes plus ou moins importants, mais qui vont tous se retrouver un soir à Médéquilla où tout bascule et se comprend. On passe d'un foyer à un autre. On découvre la vie nocturne, mais aussi les intérieurs des maisons des uns et des autres, avec des corps qui s'empilent. On est à la lisière d'un roman choral qui serait pourtant porté par une même voix. Yanick Lahens prend bien soin de présenter les gens d'en haut et ceux d'en bas. On ne peut s'empêcher de préférer ceux qui ne souhaitent que peu de choses, enfin beaucoup. Car ses personnages sont épris de liberté, et l'on comprend bien que la liberté des pauvres c'est le début des ennuis des riches. Et puis il y a la peur et la violence. Ces barrages nocturnes dont on ne sait s'ils sont le fait de la police ou de gangs, même si c'est du pareil au même. Haïti, c'est une île. Et dans une île, tout se sait. Mais comme il est répété par deux fois dans Douces déroutes, "quiconque veut continuer à voir encore quelques années doit affirmer n'avoir rien vu". En ce qui nous concerne, nous ne pourrons affirmer n'avoir rien lu. Car Douces déroutes est une fiction, mais aussi un panorama de Haïti et de sa violence malheureusement ordinaire. Reste Brune et ses idéaux...
Citation
Quiconque veut continuer à voir encore quelques années doit affirmer n'avoir rien vu.