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Pauvre comme Job sur son tas d'or
Comme beaucoup d'endroits, la Guyane est un territoire ambivalent. Selon l'état d'esprit on peut en voir les bons ou les mauvais côtés. Pour un Métropolitain peu au fait de l'actualité, c'est un territoire vierge, aux cultures mystérieuses et exotiques, avec parfois des accès ou excès de violence, mais qui dispose d'atouts formidables et d'une nature préservée. Pour d'autres, plus pessimistes (ou réalistes), c'est un territoire abandonné par la République, concentrant les injustices sociales, livré aux trafics qui gangrènent l'ensemble de l'Amérique latine. Dans cette série, débutée en 2014 avec Les Hamacs de carton, et qui en est aujourd'hui à son quatrième volet, le romancier Colin Niel oscille lui aussi entre ses deux pôles, dans une description extrêmement naturaliste de la réalité locale. Afin de cerner au mieux les informations, quoi de mieux que le récit policier !
Nous allons suivre le quotidien d'une équipe de gendarmerie, entre des fonctionnaires venus de Métropole, et parfois déconnectés, et des militaires locaux plus en phase avec la société. Pour nous présenter la Guyane, nous allons avoir trois enquêtes en parallèle, des enquêtes qui, bien entendu, se retrouveront liées in fine. D'un côté, c'est un jeune garçon qui a disparu, le fils d'un chaman aux contestations écologiques. Cette partie du roman est également un moyen de mettre en valeur tout l'aspect sauvage, naturel et animiste de la contrée, entre un chaman qui tente de transmettre des valeurs culturelles très anciennes et l'un des gendarmes qui est victime d'un sortilège et qui consulte les sorciers pour s'en sortir. Ensuite, c'est une bande de cambrioleurs qui s'en prend aux outils électroniques et autres téléphones portables. Visiblement, le gang serait originaire de la Guyane anglophone voisine, ce qui relance les aspects sécuritaires et de milices privées. Pourtant l'une des dernières victimes est morte et les gendarmes pensent qu'il s'agit peut-être d'un criminel qui aurait utilisé les méthodes du gang pour détourner les soupçons. Très vite les pistes les conduisent vers les orpailleurs et les sociétés légales qui s'opposent pour le contrôle des ressources aurifères. C'est le lieu d'une description classique mais intelligemment menée des manœuvres capitalistes honnêtes ou frauduleuses pour s'approprier les richesses indigènes, y compris en se livrant à un massacre en règle de la nature - une description qui recoupe des informations réelles récentes, et le choix par le gouvernement actuel de promouvoir un grand groupe de prospection, peut-être au détriment des règles écologiques mais sans doute aussi des économies locales. Enfin, la troisième partie de l'enquête s'intéresse aux jeunes désœuvrés qui sont légion en Guyane et qui forment des gangs, un peu à la manière américaine, se livrent à des combats d'une cité à l'autre, se droguent et font du rap, bref vivent un rêve américain par procuration. Mais lorsque l'un des membres de ces gangs est brûlé vif par des motards d'un gang rival, il convient de régler l'affaire avant que tout ne s'enflamme.
Ces trois affaires permettent de présenter une vue en coupe de la société guyanaise, de ses réussites, de ses impasses, de sa culture ancestrale malmenée par le présent et aussi par des nouvelles générations qui ne veulent plus de ce mode de vie, par la déshérence des territoires, par une ode écologique qui n'oublie pas de rappeler que la nature n'est pas forcément si accueillante et gentille que cela. Sous le ciel effondré raconte une région aux prises avec le quotidien, avec les affres de la modernité, à travers une enquête construire comme une horloge suisse. Ce nouveau roman de Colin Niel confirme tout le bien que nous pensons de son talent de narrateur, et de sa capacité à nous emmener dans des contrées lointaines et somme toute mystérieuses.
Citation
La Brésilienne sentit les mains de l'adjudante écrasées sur sa plaie, barrages dérisoires en plein torrent, des fleuves rouges infiltrés dans les brèches. Sensation inconnue, le sang s'écoulant à travers les parois trouées, plus rien d'étanche, la vie la mort comme deux fluides en osmose.