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Inédit
Tout public
L'ère de l'audimat
Gérard Lavaux a tout pour être heureux. Monté du Berry, il fait partie des rares élus qui ont réussi à Paris. Sous le nom (de scène) de Perceval, il tient une chronique à succès, Cool et mateur, dans une émission à succès, La Grande Tchatche, de celle que le populo aime à retrouver le soir en rentrant du boulot. Doué d'un sens de la répartie dévastateur, Perceval opère à même le terrain, à la rencontre d'une classe politique qu'il égratigne avec des saillies redoutables et redoutées. Il est connu, reconnu, gagne bien sa vie, file le parfait amour avec Sandrine (la productrice de son émission), et entretient une relation plus que privilégiée avec Aiko, femme de ménage japonaise qui ne refuse jamais de délaisser l'aspirateur pour une discussion franche ou pour lui prodiguer un massage avec finition, lequel semble être le comble du délassement pour cet homme en proie à une inquiétude chronique que des audiences à la hausse ne parviennent jamais à apaiser. Et puis un jour, à un carrefour, les freins du scooter ne répondent plus et Perceval se réveille à l'hôpital. À l'heure de l'émission, sur l'écran de télévision, Gamelin le remplace avec brio. L'édifice commence alors à se fissurer et les questions à affluer. Et si Perceval ne reprenait pas sa place à l'antenne ? Et si les politiques tenaient là leur vengeance ? Et si Sandrine l'avait assez vu ? Et si elle avait anticipé son déclin sachant qu'il ne pourrait pas monter plus haut ? Et si son accident était une aubaine ? Et si ses freins avaient été trafiqués ?...
Un titre simenonien. Un personnage principal torturé et mis à nu comme les affectionnait d'ailleurs le romancier belge. Un style simple et efficace comme un direct du gauche (ou du droit, je ne suis pas sectaire). Une intrigue sans fioriture qui ne se relâche que pour mieux se reprendre. L'Affaire Perceval est un roman qui ne se la raconte pas, mais qui se lit avec délectation. Sans terroristes islamiques et sans flics alcooliques ravagés dans et par l'exercice de leur fonction, Pascal Martin n'en délaisse pas pour autant notre époque. Au contraire, même, il lui colle au cul. La télé est désormais un membre des familles, et son monde appartient à notre quotidien. Presse people, émissions racoleuses, journalistes de comptoir, fake news, escalade du sensationnel de bazar, provoc' préfabriquée et poil à gratter qui gratte juste ce qu'il faut, on n'y échappe plus, et pire, on en redemande. Perceval est comme un poisson dans l'eau dans la France de 2019. Bienvenue dans le royaume des apparences où tous les coups sont permis pour se faire une place devant le prompteur, mais aussi pour sauver la face, c'est-à-dire en langage télévisuel pour rester à l'antenne. Le personnage principal, ses ambitions et ses angoisses sonnent juste. Ses liens provinciaux et sa vie parisienne itou. Son boulot, le joyeux monde calculateur et paranoïaque de la télé, univers déconnecté de la réalité à un point tel que celle-ci semble irréelle quand elle pointe le bout de son nez, est dépeint avec une telle vérité qu'on la croirait puisé dans un documentaire d'Arte (ben oui, j'allais pas dire de TF1 ou de M6 !). L'auteur a su nous entourer de détails, d'ambiances, et d'informations qui pourraient êtes toutes plus vraies que nature. Bref, on y croit. Et vous savez que quand on y croit, eh bien... on devient le sujet idéal pour une bonne balade !
Citation
Pour l'heure, Perceval n'a pas envie de rire. Il a du mal à se concentrer sur sa lecture. Rien à faire, ses pensées s'échappent. Cette histoire de dépression et d'acte manqué, invoquée par Sandrine, c'est du bidon. Elle a autre chose en tête. Quoi ? Ses explications sont une façon d'avancer masquée, un rideau de fumée pour dissimuler ses véritables pensées. Sandrine est coutumière du camouflage.