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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du polonais par Erik Veaux
Paris : Agullo, mai 2019
404 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 979-10-95718-58-1
Coll. "Agullo Noir"
Amer Kub et cacahuètes
Troisième ouvrage du romancier polonais Wojciech Chmielarz paru aux éditions Agullo, La Colombienne enfonce une porte ouverte : la Pologne n'est plus refermée sur elle-même. Le capitalisme lui a agrippé la grappe, et de fait elle est elle aussi sujette aux trafiquants internationaux. C'est que le lecteur français, lui, aurait tendance à l'oublier. L'histoire débute des années auparavant avec une bande de jeunes Polonais naïfs et avides de gagner facilement de l'argent. Convaincus qu'ils vont tourner une publicité bien rémunérée pour une marque américaine de sodas, ils débarquent en Colombie où ils mènent un temps la grande vie avant que la réalité ne reprenne le pas, et que des narcos les forcent à jouer les mules. Parmi les malheureux, une jeune femme à l'esprit fort et rebelle, à l'origine des ressorts de l'intrigue policière qui va suivre des années plus tard en Pologne. De nos jours, à Varsovie, un couple de sans abri observe une mise en scène macabre : la pendaison sous un pont d'un homme d'affaires par un individu effrayant. L'inspecteur Mortka dit le Kub est chargé d'enquêter. Le mort avait les mains liées et une cacahuète dans la bouche.
Le Kub est un flic à l'intégrité redoutable et aux manières personnelles (évidemment). C'est donc un flic classique dans la littérature de genre avec ses propres obsessions. Tout juste divorcé (son ex-femme s'est remise en couple avec un avocat), ce père de deux enfants craint d'avoir attrapé le VIH, et cette angoisse le poursuit durant toute son enquête (y compris parce qu'il entend entamer une relation avec une femme qui a un rapport avec l'enquête qu'il mène) et dans son petit appartement minable (au regard du logement dans lequel évolue sa femme et leurs enfants). Surtout, il adore prendre le contrepied de ses alter ego. Le roman possède deux attraits principaux : il plante un décor intéressant, celui de Varsovie aujourd'hui. On est dans la littérature urbaine et sociale. On observe la société polonaise à travers le prisme désabusé d'un antihéros qui n'hésite pas à se balader et nous balader. Ce qui amène le second attrait : Mortka. C'est l'archétype du flic à l'ancienne, qui travaille principalement à l'affect et à l'instinct. Si le tueur se joue de lui, il se joue également du tueur. L'intrigue est ponctuée de rebondissements (dont un meurtre improvisé sur une place surpeuplée), voire de fausses pistes (ou intrigues secondaires sur fond de faits divers et de suicides). Mais tout se joue autour de la capitalisation et de trafics de drogue. Mortka ne connait rien du monde de la finance, mais il va en apprendre les principaux rouages, et les roueries potentielles de ceux qui les manipulent. En revanche, les trafics de drogue ne lui sont pas inconnus. Le coupable n'est pas un être au machiavélisme intelligent. C'est avant tout quelqu'un mue par la vengeance (ce dont le lecteur se doute très vite), et il ne saura pas anticiper toutes les actions du Kube (ce dernier non plus d'ailleurs). À mesure que Mortka cerne sa cible, le lecteur cerne Mortka, et une certaine empathie se crée. Pourtant, il est plutôt énervant ce personnage de flic à la limite du bourru. Mais il est attachant. Wojciech Chmielarz déroule son intrigue avec une écriture très classique dans une ambiance qui ne l'est pas moins. Le roman se lit avec beaucoup de plaisir, sans tension particulière. Les personnages acquièrent une personnalité parfois ambivalente, mais qui sonne éminemment juste. Et c'est là la plus grande réussite de l'auteur : ils sont humains, faillibles et faibles (comme Mortka au moment d'avoir les seconds résultats pour le test du VIH).
Décidément, après Zygmunt Miloszewski, avec Wojciech Chmielarz, la Pologne s'affirme comme un terreau de la littérature policière de l'Est ! Et La Colombienne n'est que la troisième des cinq aventures du commissaire Mortka, un personnage que l'on aura plaisir à retrouver très vite.
Citation
Ni vraiment assis ni vraiment allongé, il tentait de mettre en ordre tous les événements et les pistes diverses. D'abord l'enquête, Borzestowski, la Colombie, la cocaïne, Muller, Polaco, Rossignol, Falencki, Wisniewski. Tous éléments reliés entre eux. Mais il ignorait la nature de leurs liens, bien qu'y percevant comme une dynamique, celle d'un gilet agité par des flots mystérieux.