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À jamais perdants de l'histoire
Clovis Narigou et Emma Govgaline sont tous deux policiers à Marseille, une ville en pleine tension depuis que des immeubles se sont effondrés et que ça a révélé au mieux l'incurie de la classe politique locale, au pire sa corruption. Ils ont bien senti qu'il convenait de ne pas trop fouiller dans les décombres des immeubles même si le suicide (ou l'assassinat ?) d'un homme politique local pourrait permettre une nouvelle approche de ce scandale. Donc, aussi pour les détourner un peu, leurs chefs les envoient sur une autre enquête : on vient de retrouver un vieil harki, torturé et mort tout en étant laissé visible de façon spectaculaire. Lors de l'enquête, vont être mises en lumière une sombre histoire de vengeance et, par-delà certaines circonstances, jusqu'ici peu racontées, la guerre d'Algérie (même si depuis quelques années une littérature semble éclore à l'instar de la trilogie "Tedj Benlazar" de Frédéric Paulin avait remis en avant quelques éléments, mais pas forcément ceux qui sont traités ici). Si on a souvent entendu parler d'un affrontement entre des militaires français d'un côté et des résistants, libérateurs ou terroristes (selon ses propres options idéologiques) de l'autre, on a aussi souvent oublié que les groupes algériens s'affrontaient entre eux avec une certaine violence et qu'un certain nombre d'Algériens avaient choisi, par conviction ou poussés par des pressions, de rester du côté de la Métropole. Parmi eux, les harkis, qui furent à la fin du conflit ou abandonnés ou reclassés en France dans des conditions misérables. Toujours est-il qu'il existait au sein de l'armée française un groupe qui avait lancé l'opération bleuite, une opération d'intoxication qui a profondément divisé et provoqué des épurations internes dans les milieux algériens. Certains des harkis y ont participé, des descendants des familles algériennes y ont perdu des proches. Qui cherche donc à se venger dans ce drame complexe où il est difficile de savoir qui fut réellement un traitre et à quoi exactement ?
Le roman de Maurice Gouiran joue donc sur cette intrigue principale, montée avec soin, et qui permet de glisser au sein de la narration des éléments informatifs et historiques très intéressants, sans jamais donner l'impression de les plaquer sur l'intrigue. Une intrigue secondaire sur le présent et les corruptions municipales permet de décaler, par instants, l'horreur de l'intrigue principale. L'auteur pose ainsi, juste après le rapport Stora, la difficile question de la mémoire, du travail de l'historien qui essaie de définir une réalité au milieu des vécus des témoins. Sans manichéisme, La Peur bleue montre, de manière forte et sans qu'il soit possible de lâcher le livre, la construction d'une œuvre policière et politique, sensible et intelligente chez Maurice Gouiran.
Citation
Il est fier de lui : il a superbement manipulé Abdellah pour l'orienter sur le chemin du crime. Il a su transformer cet homme en tueur forcené, le convaincre de la culpabilité des 'bleus'. Abdellah, affligé et aveuglé par sa soif de vengeance, ne pouvait pas savoir…