Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais par Jean-Marc Mendel
Paris : Le Masque, février 2012
348 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7024-3655-4
Coll. "Agatha Christie", 12
Remettre les pendules à l'heure
Avec Les Pendules, énième aventure mettant en scène Hercule Poirot, la Reine du crime Agatha Christie innove et s'amuse. L'ouvrage est un hommage au whodunit (on a même le droit à une conférence sur les littératures policières de trois pages énoncées doctement par le détective belge en milieu de roman), et Hercule Poirot, jeune retraité, se transforme en armchair detective, c'est-à-dire que contrairement à nombre de ses enquêtes, il n'est pas présent sur les lieux du crime au moment où il est commis ; il n'est pas non plus invité à venir sur place le résoudre. Il active donc ses petites cellules grises depuis son appartement. D'ailleurs, pour ce roman de trois cent soixante page, il n'apparait pour la première fois qu'au tiers de l'intrigue, et ne parcourt le récit qu'à trois reprises (tout en daignant se déplacer à la presque fin sous une excuse triviale). Les véritables enquêteurs de ce roman sont donc Colin Lamb, un biologiste éminent qui ne va pas tarder à se révéler membre des services secrets de sa Gracieuse Majesté en lutte contre des agents communistes (le roman est paru en 1963 et est contemporain de cette époque), et l'inspecteur Hardcastle, homme méthodique, intègre, dévoué et acharné (les deux hommes sont des amis au début de l'histoire). Le premier est le témoin de l'affaire (il enquête sur place pour d'autres motifs) quand une jeune femme sort en trombe du domicile d'une femme aveugle en hurlant : alors qu'elle avait été appelée pour de la sténographie, elle a trébuché sur le cadavre d'un homme bien propre sur lui si ce n'est qu'un poignard lui a transpercé le cœur. Elle se jette dans les bras de Colin Lamb (qui, lui, tombera bien évidemment amoureux), raconte son histoire et assiste à la mise en route de l'appareil judiciaire. Très vite, plusieurs éléments éveillent la curiosité. Mademoiselle Pebmarsh, atteinte de cécité, habite seule au 19, Wilbraham Crescent. Son jardin jouxte différents jardins du voisinage. Elle a pour habitude de ne pas fermer sa porte lorsqu'elle part faire des courses. Au moment présumé du meurtre (14 h 30), elle n'était pas chez elle. Elle est censée avoir appelé les bureaux de sténographie de Mademoiselle Martindale et avoir expressément demandé la présence de Sheila Webb pour 15 heures ce jour-là. L'enquête prouvera qu'il n'en est rien. Dans le voisinage, calme au moment du déjeuner, personne n'a rien vu (Poirot insistera lourdement sur une enquête de voisinage). Le premier fait était troublant, le second l'est bien plus : dans la pièce du crime, quatre pendules ont été ajoutées marquant toute 16 h 13 ; un réveil de voyage porte même l'inscription "Rosemary" (un prénom à la signification intéressante déjà utilisé dans une aventure mettant en scène Miss Marple, Meurtre au champagne en 1947, prénom qui s'avèrera être le deuxième de Sheila Webb). Hercule Poirot s'intéressera plus tard à cette mise en scène en expliquant que les scènes de crime les plus complexes cachent un crime simple.
Toute l'intrigue – qui voit le lecteur omniscient (pour une fois), et qui a déjà compris l'erreur commise par Colin Lamb concernant son enquête secondaire depuis la page 69 –, est recomposée à travers les nombreuses allées et venues des deux véritables enquêteurs mus par des intérêts divergents. Colin Lamb deviendra presque aux yeux de Hardcastle un suspect. L'intrigue repose donc sur un whodunit assez logique quand Hercule Poirot nous révèle les pièces du puzzle dans le bon ordre. Mais le roman, qui offre un final très tiré par les cheveux vaut surtout pour deux raisons : un, c'est un hommage stylistique appuyé avec une maitrise qui force la lecture respectueuse ; deux, c'est également le témoin d'une époque avec trois idées sous-jacentes assez fortes : l'engagement politique, la place de la femme dans la société et la question de la maternité vue sous un angle nettement critique. Le roman aurait pu faire un très bon unitaire sans Hercule Poirot.
Citation
En revanche la quantité de Rye et de bourbon qu'ingurgite le détective à chaque page d'un roman policier américain me semble dénuée du moindre intérêt. Qu'il en avale une 'pinte' ou une 'demi-pinte' sortie du tiroir supérieur, du tiroir censé abriter ses faux cols, ne me parait pas de nature à affecter le cours de l'action.