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Est-ce ainsi que les hommes survivent ?
Les lecteurs et amateurs de bande dessinée d'un certain âge, voire d'un âge certain, se souviennent peut-être de Simon du Fleuve de Claude Auclair ou d'une série de Michel Crespin publiéé par le premier Métal Hurlant. Plus récemment, Demain le monde de Jean-Pierre Andrevon reprenait le même thème : celui d'un monde après une apocalypse (la nature de cette dernière n'étant pas forcément précisée) qui se reconstruit. Alors que les grandes œuvres américaines du genre évoquaient surtout des aventures sanglantes, des cannibales et un monde en déliquescence (Mad Max en est un exemple parfait), les trois auteurs évoqués plus haut ont crée des univers, à la française, plus inquiets des enjeux écologiques et de l'humanité que de faire gicler du sang. Le nouveau texte de Gilles Vidal entre dans cette catégorie : il y a bien eu une catastrophe ou une guerre (dans le ciel circule encore de temps à autre un avion qui fait peur aux humains), mais elle reste lointaine. Il y a des politiques qui essaient de faire des choses, parait-il, mais ils sont loin et discrédités. Comme dans les œuvres susmentionnées, le texte va se concentrer sur un personnage qui traverse le pays et cherche à vivre tranquillement. Il est prêt à se battre, mais il préférerait collaborer et trouver un havre où il pourrait se reposer. Il le trouvera peut-être d'ailleurs dans une communauté qui tente de vivre en autonomie dans un coin perdu. Bien sûr il y aura les passages obligatoires - comment après des semaines de sécheresse récupérer de l'eau et se laver sous la pluie ruisselante, ce qui est l'occasion d'une description forte où le lecteur sent les gouttes qui tombent et les corps qui exultent. Il y aura également une tentative de lutte entre groupes pour acquérir les dernières denrées dans les restes d'un supermarché mais ce ne sera qu'une "plaisanterie dramatique" de plus. Ce qui compte pour le personnage (et sans doute pour l'auteur), ce sont les petites choses perdues, les petits riens qui perdurent et qui font le sel de la vie. Survivre dans un monde hostile s'il n'y a le rire d'une enfant, le regard ému d'une femme, un lever ou coucher du soleil pour s'émerveiller en vaut-il vraiment la peine ?
Comme Simon Du Fleuve, ou chez Michel Crespin, ou chez Jean-Pierre Andrevon, Gilles Vidal raconte un monde qui contient en lui encore de l'humain, qui évidemment doit composer avec l'horreur, mais ne doit pas y succomber. Pourquoi continuer à vivre si c'est en tuant des gens, en les mangeant, en volant et pillant à des plus faibles ? Si nous sommes déshumanisés, alors c'est qu'il fallait cette catastrophe, qu'il fallait purger la terre de l'humanité. Avec poésie, avec subtilité, à travers la description d'un personnage qui entend rester un humain au milieu de ce monde, c'est toute l'éthique aussi du roman noir (depuis le détective de Raymond Chandler ou Dashiell Hammett) qui court au long de ce court récit. Roman noir et poésie, c'est bien ce que cherche à concilier, et il y réussit souvent, Gilles Vidal. C'est encore le cas avec ce Because the night lumineux dans un monde noir, comme lorsqu'on est perdu, seul, dans les ténèbres et que, justement, pure et sensible, la voix de Patti Smith s'élève pour nous consoler de tout.
Citation
Je le considérai les mains sur les hanches avec ce regard aigu que doivent avoir les maquignons quand ils scrutent le bétail. Puis je donnai un coup de menton vers le sac à dos.