Contenu
Rorschach
Grand format
Inédit
Tout public
Jorge Fornés (encreur)
Dave Stewart (coloriste)
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Edmond Tourriol
Paris : Urban comics, juin 2022
292 p. ; illustrations en couleur ; 29 x 19 cm
ISBN 979-10-268-2104-5
Coll. "DC black label"
Les héros sont-ils vraiment immortels ?
Trente-cinq ans après qu'Ozymandias ait lâché un fléau extraterrestre sur New York, un couple de déséquilibrés tente d'abattre l'adversaire populiste de l'acteur-président Robert Redford lors d'un meeting, avant d'être abattu. La jeune femme est rapidement identifiée, mais son compagnon, bien plus âgé et vêtu comme Rorschach, l'ancien membre des Watchmen, pose plus de problèmes. Les soupçons se portent sur un dessinateur de bande dessinée reclus, mais les empreintes du mort correspondent à celles de Walter Kowacz, le Rorschach original, décédé depuis des années. Les anciens héros seraient-ils en train de se réincarner ? À moins qu'il ne s'agisse d'un complot bien terrestre dans les bas-fonds de la politique.
Choc dont l'univers de la BD ne s'est jamais vraiment remis, la parution en 1986 du Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons a redéfini en profondeur la représentation des super-héros, dépouillés de leur statut quasi-divin pour retomber dans des turpitudes bien humaines. Suite à son succès mérité, quantité de créateurs se sont lancés dans des histoires sombres, prolongeant le genre superhéroique dans un marigot dont il n'est jamais sorti, ce qui a poussé Alan Moore à refuser toute suite ou adaptation de son œuvre. Mais si les premières tentatives de DC Comics de capitaliser sur l'effet Watchmen en publiant des préquelles peu inspirées avaient tendance à lui donner raison, le Rorschach de Tom King et Jorge Fornés a tout du sans faute et parvient à se rattacher au comics original tout en affirmant brillamment son indépendance. Star du nouveau comics, Tom King a déjà renouvelé Batman pour la firme, et son travail en tant qu'agent de la CIA (outre qu'il a servi de base à son récit The Sheriff of Babylon) irrigue largement son Rorschach. En choisissant de centrer son comics sur le personnage le plus contestable des Watchmen, vigilante jusqu'au-boutiste aux tendances fascistes, et en situant l'intrigue largement après la fin de la série de Moore et Gibbons, Tom King ancre le récit dans le genre du thriller politique paranoïaque, un genre qui fit florès dans les années 1970 avec des réalisateurs comme Sidney Lumet ou Alan Pakula, auxquels Rorschach fait très souvent penser. Bien que situé en 2020, le comics, servi en cela par le dessin sobre de Jorge Fornés refuse toute modernité : des costumes aux véhicules ou aux outils technologiques, tout baigne dans une ambiance qui évoque les années grises de Nixon. L'enquête, menée par un collaborateur du gouverneur Turley, le candidat réactionnaire, déroule patiemment le fil d'Ariane de magouilles politiques bien concrètes dans une Amérique plus divisée que jamais, tout en reprenant avec humour les codes mis en place par le Watchmen original (ainsi Frank Miller, transformé en personnage, auteur non pas de BD de super-héros, mais de pirates, tandis que les comics de héros masqués apparaissent comme subversifs). Passionnante de bout en bout, cette enquête à tiroirs se lit comme un grand thriller, qui n'oublie pas de poser une réflexion lucide sur notre monde actuel à travers le prisme de l'uchronie. Après trente-cinq ans de pâles copistes et d'imitateurs putassiers, Alan Moore vient-il enfin de trouver son légitime héritier ?
Citation
Moi, j'avais fait mon bouquin, ma bande dessinée. Je croyais que j'avais raconté quelque chose sur la vie, avec un pirate qui joue du pipeau sur un bateau. Et il y avait du sang partout par terre.