Contenu
Le Livre de la rentrée
Grand format
Inédit
Tout public
Auto-dissection littéraire
Depuis L'Espion qui venait du livre, le truculent Luc Chomarat s'est fait une spécialité de l'enquête littéraire au sein d'une métalepse narrative qui vient flirter avec l'intertextualité. Dans Le Livre de la rentrée, cette dernière prend le pas sur la première, n'hésitant pas à risquer de dérouter le lecteur par son ancrage dans les petites histoires du monde ténébreux de l'édition. Mais à travers une intrigue singulière et épurée (l'admiration que porte un homme à une femme qu'il ne pourra avoir), l'auteur revient également aux fondamentaux du roman tout en pratiquant l'autodérision. On retrouve donc l'éditeur Delafeuille, un homme qui n'a pas de prénom, qui vit dans un petit appartement en solitaire, au prise avec une directrice financière qui lui a mis le couteau sous la gorge afin qu'il dégote aux éditions Mirage LE roman de la rentrée. C'est le moment où le hasard sonne deux fois à sa porte. La première fois, c'est pour faire entrer Ben, le neveu de l'éditrice Murnau, une amie chère de Delafeuille. Son neveu a commis Dernier message, un ouvrage, une correspondance épistolaire à base de SMS et autres messages issus de réseaux sociaux entre deux protagonistes interchangeables. Le tout étant truffé de fautes. La seconde fois, c'est Luc, l'auteur de Delafeuille qui écrit des histoires de genres (mais pas de MeToo). Mais lui ne franchit pas la porte. Il invite Delafeuille à le rejoindre chez lui, à Farsac, dans le sud-ouest de la France. Il est en train d'écrire une autofiction, Le Livre de la rentrée, où il se met en scène avec Delphine, sa compagne. Et Delafeuille d'accepter l'invitation sans se douter qu'il va tomber éperdument amoureux de Delphine, qu'il va découvrir à la fois dans La Vraie Vie et dans le récit fictif de Luc tout en voulant que la réalité colle à la fiction.
On doit à Luc Chomarat cette application à créer une enquête littéraire en abime noire. Adepte assurément de Pierre Bayard, dont il décline le mantra selon lequel les personnages de fiction ont leur propre vie, Luc Chomarat nous délivre un troisième roman mélancolique. On sent qu'il y a derrière toute cette mélancolie l'envie de tourner la page de cet enfermement stylistique. Pourtant, la majeure partie du roman, très elliptique, est assez magistrale. "Faire simple est compliqué." Un autre mantra, celui-là d'Elmore Leonard. À lire Le Livre de la rentrée, on ne s'aperçoit pas à quel point l'écriture de Luc Chomarat a dû être compliquée, travaillée. L'ensemble se lit d'une traite joyeuse. Il nous amuse, se joue de lui et de son insuccès, aborde légèrement l'actualité (du Covid à l'Ukraine), prend le temps d'instiller lentement la porosité entre la réalité et la fiction. De mettre son personnage devant un paradoxe qui hésite entre Jorge Luis Borges et Erwin Schrödinger : Delafeuille, sûr d'être réel, doit prendre conscience qu'il est un personnage de fiction qui a déjà vécu ce qu'il vit dans un livre écrit par un ami écrivain, lui aussi personnage de fiction. Et d'affirmer ce paradoxe narratif à travers la figure bovarique de Delphine. L'auteur semble cependant quitter ses personnages à regret, laissant traîner ses dernières pages, ne sachant trop comment mettre un terme à cette histoire absurde. On referme ce livre cependant à regret, abandonnant des camarades de lectures dont on ne sait s'ils sont vrais ou pas.
Citation
Les personnages d'une fiction font un peu ce qu'ils veulent, il le savait bien. C'est un phénomène que connaissent seulement les romanciers, ceux qui s'adonnent à cette activité étrange qui consiste à bercer leurs contemporains d'histoires imaginaires, pour les aider à supporter la réalité.