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Vie et mort de Vernon Sullivan
Grand format
Inédit
Tout public
La cave se rebiffe
Tout au long d'un récit fin et sensible, Dimitri Kantcheloff revient sur l'une des plus belles arnaques littéraires françaises, celle qui a été commise par Boris Vian du temps que la littérature pouvait être transgressive et faire les "Une" de quotidiens nationaux. L'histoire débute en 1946. Alors qu'il végète à l'Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton, que Raymond Queneau lui annonce qu'il n'aura finalement pas le Prix de la Pléiade, que son médecin lui a assuré qu'il mourra jeune, une discussion de pilier littéraire avec Jean d'Halluin, fondateur des éditions du Scorpion, va amener Boris Vian à créer le personnage d'écrivain américain Vernon Sullivan, auteur d'un très controversé J'irai cracher sur vos tombes (titre amélioré à l'époque par sa femme Michelle). L'idée est de faire couler beaucoup d'encre et d'écouler beaucoup d'exemplaires. Derrière cette blague de potache, il y a l'assurance de Boris Vian de pouvoir écrire un best-seller en se jouant des codes de l'édition et des critiques germano-pratins. Il faudra créer un background à l'auteur, surtout il faudra produire une intrigue résolument scandaleuse selon Daniel Parker, chantre de la vertu qu'il promeut à coups de procédures.
Le texte de Dimitri Kantcheloff fait écho à l'intrigue de Vernon Sullivan. Plus exactement, le second se met en retrait. Défriche un sentier connu mais en y ajoutant sa touche. Il se joue des mots mais pas des maux. Son portrait de Boris Vian et de son double semble véridique, et surtout pas magnifié même s'il nous trimballe d'une cave à l'autre de Saint-Germain-des-Près à la rencontre de nombre de personnages légendaires qui prennent le temps de vivre (le texte foisonne de ce monde foisonnant). Dimitri Kantcheloff relate ainsi treize ans d'une vie presque ordinaire teintée par des émotions, des débordements et menée par une urgence à créer quelque chose, à laisser une empreinte et à bouffer la vie par les deux bouts. Le lecteur est ici témoin mais pas voyeur. Et quand ce dernier s'engouffre avec Boris Vian dans une salle obscure du Marbeuf pour assister à la projection de l'adaptation cinématographique à laquelle lui ne voulait pas être associé, c'est pour capter ses dramatiques derniers soupirs. Il y a dans cette écriture douce-amère une véritable tendresse, mais une tendresse qui peut être dure. Et puis il y a une mélodie nostalgique qui donne envie de replonger dans cette époque, d'écouter un disque de jazz, et de relire Boris Vian, quel que soit le nom de plume employé par ce diable de pataphysicien. Une bien belle réussite.
Citation
Il me faudrait, dit-il à Boris et à Michelle, quelque chose de bien érotique, un truc à succès du genre Pas d'orchidées pour Miss Blandish.