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Mon cœur est une tronçonneuse
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Fabienne Duvigneau
Paris : Rivages, octobre 2023
416 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-6107-6
Coll. "Noir"
Slasher dans l'Amérique rurale
L'action se déroule à Proofrock, une petite ville de l'Idaho. Alors que la bourgade meurt tout doucement, des riches sont en train d'installer au bord du lac une zone résidentielle de haut standing privé. Et ça perturbe un peu les habitants surtout que le coin est réputé hanté car situé sur un territoire indien qui abrite un cimetière. On raconte également qu'une sorcière reviendrait de temps en temps effrayer les villageois. Parmi ces habitants, la jeune Jade Daniels. Elle est un peu paumée, maltraitée (et on ne sait exactement jusqu'à quel point) par son père et les amis de celui-ci, bande d'alcooliques vulgaires. Elle est en train de finir son lycée, dans lequel elle travaille comme femme de ménage pour avoir un peu d'argent, et doit rendre un mémoire qui lui vaudra les points nécessaires à l'obtention de son diplôme. Son mémoire porte sur les slashers, c'est-à-dire les films d'horreur mettant en scène des tueurs en série, réels ou fantastiques (un mémoire dont des extraits sont reproduits parfois dans le récit). Elle est tellement obnubilée par son sujet qu'elle finit par croire que ce qui arrive dans sa ville n'est qu'une extension d'un scénario de slasher. Ainsi, une jeune fille venue finir à Proofrock sa scolarité (sa famille richissime va habiter dans le nouveau "lotissement"), devient pour elle la fille qui résiste à tout dans les films d'horreur et gagne à la fin du film. Peu à peu des morts horribles semblent troubler le village, mais personne ne veut croire ce que Jade Daniels annonce : c'est la sorcière indienne qui est revenue pour se venger. Elle devrait même commettre un meurtre de masse à l'occasion de la fête nationale. Sa nouvelle amie riche pense que c'est surtout l'inceste forcé que Jade subit qui l'a fait se réfugier dans ce monde onirique peuplé de tueurs fous avec des machettes ou des tronçonneuses.
Après une entrée tonitruante dans l'édition française avec Un bon Indien est un Indien mort, Stephen Graham Jones renouvelle de manière fracassante avec ce deuxième roman traduit par Fabienne Duvigneau. Il a obtenu aux États-Unis les prix Bram Stoker, Shirley Jackson et Locus, soit trois prix intéressants, voire incontournables qui signalent des ouvrages liés, la plupart du temps, au fantastique. De fait, ce nouveau livre est de forme "étrange" : s'installant dans une description des communautés amérindiennes pauvres et défavorisées, dans une zone rurale désertée par les forces vives du pays (et avec une groupe de riches venus s'installer en corrompant les lieux), le roman raconte une histoire dont on ne saura jamais si elle est réelle ou déformée par les obsessions de la jeune fille qui en est la principale protagoniste. Des personnages obscurs (le père, un professeur qui vole en ULM pour surveiller les travaux des riches, un policier qui essaie d'être un père de substitution pour la jeune fille en même temps qu'il s'inquiète de ses dérives mentales...)... Tout concourt dans le roman à brouiller les pistes, à empêcher de savoir ce qui se passe réellement. Version écrite de ce qui a été une réussite pour certains films d'horreur à savoir raconter par l'entremise d'une caméra subjective, Mon cœur est une tronçonneuse est un livre abouti, aux frontières du polar, du roman noir, du roman social et de l'épouvante, parsemé d'humour, par un auteur qu'il va falloir surveiller attentivement.
Citation
Peu importe. Jade lève la hache au-dessus de sa tête et l'abat de toutes ses forces, bien déterminée à exploser la porte façon Jack Torrance dans Shining. La lame n'égratigne même pas la porte.