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Leif Davidsen : l'espion qui venait du froid

Mercredi 15 septembre 2010 - Leif Davidsen est un homme à part dans la production ronronnante du "polar nordique". Il a parfaitement compris les mutations du roman d’espionnage (pour vous en convaincre, comparez sa trilogie russe avec celle consacrée à Per Toflund), et il réussit à chaque fois de grands polars denses... Voici une rencontre avec cet auteur danois.
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© D. R.



k-libre : Vos livres sont tous sortis chez Gaïa, une maison d'édition qui œuvre pour la littérature nordique, et vos premiers polars ont été publiés bien avant que ce soit, en France, la "vague du polar nordique"... Nous on lit plein de polars de chez vous, mais chez vous, est-ce aussi la folie pour les "polars nordiques" ?
Leif Davidsen : Oh, oui. Dans les pays nordiques, la plupart des titres des listes de best-sellers sont des polars ou des suspenses. Leur présence est très forte, et ce depuis longtemps.

k-libre : Concernant le Danemark, il y a vous, Michael Larsen, Olav Hergel et feu Dan Turrel qui sont traduits, autant dire peu d'auteurs de polars danois... Êtes-vous plus nombreux que ça ? Et comment se porte le genre au Danemark ?
Leif Davidsen : Comme je l'ai dit, il se porte bien. Plusieurs auteurs ont beaucoup de succès, comme Jussi Adler-Olsen, qui marche très fort en Allemagne, et plusieurs écrivains. Mais je suis loin d'être un expert. J'avoue lire peu d'auteurs danois.

k-libre : Dans un de vos livres on y voit des gens ayant une opinion assez hautaine sur le polar. Ça a longtemps – et ça perdure encore chez certains – été le cas en France... et au Danemark ?
Leif Davidsen : Non. À part peut-être dans certains cercles académiques. Nous avons des critiques dans la presse le jour même de la publication. Nous sommes nominés pour des prix littéraires. Moi-même, j'en ai reçu plusieurs. Et dans mon cas, un professeur de littérature a écrit un livre sur mon œuvre. Donc, depuis des années, le polar est considéré comme une littérature qui, désormais, fait l'objet d'études et de maîtrises.

k-libre : Dans La Femme de Bratislava, Teddy dit : "La méchanceté profonde et les efforts pour la comprendre ne seront jamais périmés." C'est triste à dire mais c'est une bonne chose pour les auteurs de polars... D'ailleurs avez-vous peur d'être un jour en panne d'inspiration ?
Leif Davidsen : Au niveau personnel, bien sûr que oui, mais pas lorsque je regarde ce monde qui regorge de matériau pour des polars. Malheureusement. Mais à chaque fois que je finis un roman, ce qui est un travail long et pénible, je me dis, non sans nervosité : et maintenant ? Est-ce que j'ai d'autres romans en moi ?

k-libre : Vous avez été journaliste avant de devenir écrivain, et son se doute bien que le roman vous permet de dire beaucoup plus de choses que dans un article – même bien documenté – de journal... Est-ce pour ça que vous êtes devenu écrivain ?
Leif Davidsen : C'est un malentendu courant : en fait, je voulais être écrivain bien avant de me faire journaliste. J'ai commencé par la poésie, mais me suis dit qu'il fallait bien que je gagne ma vie. J'ai donc fait des études de journalisme, et je suis devenu correspondant à l'étranger. J'ai travaillé des années durant pour la radio danoise tout en écrivant à côté jusqu'à ce que je puisse démissionner en 1998 pour devenir romancier à plein temps, mais j'aimais mon métier. J'écris de la fiction depuis mon plus jeune âge.

k-libre : À lire vos romans, connaissant votre carrière de grand journaliste, on se demande à quel point vous n'avez pas été espion (journaliste international étant une bonne couverture) ou à quel point vous les avez côtoyés... mais vous n'avouerez pas ceci, je pense...
Leif Davidsen : Je n'ai jamais été espion, mais je crois en avoir rencontré quelques-uns dans le cours de mon métier et de mes recherches.

k-libre : Vous commencez avec une trilogie russe – d'actualité en 2009 où l'on a fêté les vingt ans de la chute du mur de Berlin – qui décrit la situation de tout ce qu'on appelait le bloc de l'Est suite à "la chute du communisme". Cette trilogie (tout comme vos autres livres d'ailleurs) a une réflexion politique très développée... pour vous l'Histoire est indissociable du polar ?
Leif Davidsen : Désolé, mais mon premier roman se passait en Espagne, mais il n'a pas été traduit en français. Puis j'ai écrit Le Chanteur russe. Je ne l'ai jamais considéré comme une trilogie, et pourtant, c'en est une, même si ce n'était pas prévu. Je n'ai pas de théorie bien établie sur le polar — ou toute autre forme d'écriture —, et je crois que chacun doit trouver sa propre voix, donc je ne peux parler pour mes collègues. Personnellement, je crois que mes romans se passent dans la réalité et, donc, reflètent le monde. Je préfère prendre des décors et des personnages réalistes là où, de nos jours, le genre devient de plus en plus fantaisiste, avec des personnages comme Lisbeth Salander qui est une super-héroïne. C'est certes amusant, mais comme peuvent l'être les contes de fées. Pour moi, elle est plutôt comme Fifi Brindacier dans les livres pour enfants, du Harry Potter pour adultes.

k-libre : Et vous continuez aujourd'hui dans ce monde rongé par la mondialisation : "Il avait l'impression que si l'on avait enterré la grisaille de l'affreux communisme, la brutalité du capitalisme qui l'avait remplacé était plus vulgaire que libre"... Triste constat, non ?
Leif Davidsen : C'est au lecteur d'en décider. En tant que romancier, je donne une voix à bien des gens.

k-libre : Ceci rejoint une préoccupation de la sœur de Teddy dans La Femme de Bratislava : "Regarde au-delà du mur d'abondance de l'Europe et des États-Unis, et la misère te fait mal aux yeux. La marche objective de l'histoire ne se démentira pas. Plus tard, les chercheurs du futur verront l'époque du changement de millénaire comme un recul un peu inexplicable avant que les peuples du tiers-monde ne se mettent en branle pour reprendre ce que l'impérialisme leur à volé"...
Leif Davidsen : Eh bien, c'est une vieille révolutionnaire gauchiste, comme l'étaient bien des gens de ma génération dans les années 1970. Elle trouve que le monde est toujours hanté par la misère et la souffrance. Nous vivons dans une des parties du monde les plus riches et les plus sûres, ce qui ne nous empêche pas de nous plaindre et de craindre qu'on nous prenne tout ce qu'on a. Notre époque n'est pas très tolérante. Mais une fois de plus, je donne une voix à des personnages bien différents.

k-libre : : Certains de vos livres sont de véritables romans d'espionnage et un de vos protagonistes cite justement les romans d'Eric Ambler... alors quels sont vos auteurs favoris ?
Leif Davidsen : Ils sont nombreux et ont changé au fil des années. Bien sûr, on ne lit pas de la même façon lorsqu'on a douze ans, mais c'est aussi vrai lorsqu'on en a vingt-cinq ou cinquante. J'ai toujours été inspiré par Graham Greene, Eric Ambler, Ernest Hemingway — mais des auteurs comme Günter Grass, Heinrich Böll, Fedor Dostoïevski et John Le Carré m'ont offert de grands moments de lecture. Quelques Danois comme Henrik Stangerup et Klaus Rifberj. Plus jeune, je lisais énormément de poésie. Je lis toujours beaucoup.

k-libre : Vous publiez un livre tous les deux ou trois ans, et ceux-ci sont toujours très fouillés : comment les abordez-vous et quelle est votre méthodologie de travail ?
Leif Davidsen : Je commence toujours par le personnage principal. Je ne sais jamais ce qui va se passer, où l'histoire va me mener. J'écris tous les jours et voyage ou amasse ma documentation en cours de route. Mon écriture est plus basée sur les personnages que l'intrigue. Lorsque je commence, je n'ai pas idée de la fin. Il n'y a rien de magique dans ce procédé. Pour moi, c'est une façon de procéder très instinctive. Tard dans ma vie, en lisant son livre court, mais instructif, À la recherche d'un personnage, j'ai appris que Graham Greene ne faisait pas autrement. Pour me documenter, je voyage, j'ai recours à Internet, je m'entretiens avec des gens qui sont dans l'armée, les services secrets ou les domaines où je cherche des informations. La plupart du temps, ces gens sont contents d'assister un écrivain.

k-libre : Et comment faites-vous pour avoir un tel "rendu" ? Car, comme le dit si bien un journaliste de Télérama : "Leif Davidsen n'est pas un de ces écrivains qui explique le monde : il vous jette dedans. Sans prendre de gants."
Leif Davidsen : Je ne sais vraiment quoi répondre. Je n'interprète jamais mes propres romans, je laisse ça aux autres. J'essaie de faire du mieux que je peux et je suis content lorsque quelqu'un trouve que j'ai réussi mon coup.

k-libre : Après votre trilogie russe, vous enchaînez avec la trilogie Per Toflund... C'est la première fois que vous mettez en scène un commissaire danois... Même si les histoires englobent encore une bonne partie du monde, était-ce là une envie pour vous de vous recentrer sur le Danemark ? Un Danemark "habile à nous tenir à l'écart des pires ennuis et à manœuvrer élégamment entre nos grands voisins, surtout l'Allemagne".
Leif Davidsen : Une fois de plus, je suis parti sur un personnage, en l'occurrence celui de Vuk, et je ne comptais pas en faire une trilogie. Ce n'était pas prévu. C'est le monde qui l'a entraîné. La guerre dans les Balkans, le 11-Septembre... Je suis très influencé par l'actualité, ce qui se passe dans le monde et autour de moi. Tel est mon matériau de base. Je n'ai pas de grand dessein. J'écris un roman à la fois. Per Toflund était un personnage intéressant, si bien que, puisqu'il me fallait un agent des services secrets danois pour le suivant, je n'ai pas jugé utile d'en inventer un autre.

k-libre : Même si vous nous expliquez bien qu'il ne se passe pas grand-chose au Danemark... "Le Danemark restait un petit pays où l'on gonflait les petits problèmes, car en fait rien ne s'y passait qui donne matière à de grands articles"... d'où la nécessité d'aller chercher les ennuis ailleurs, non ?
Leif Davidsen : Eh bien, j'ai vécu des années à l'étranger, où j'ai été correspondant. Je tire mes idées et mon inspiration du monde entier. C'est mon matériau de base. Si j'étais resté au Danemark toute ma vie, j'aurais certainement écrit des romans, mais sur des sujets bien différents.

k-libre : On a un peu de mal à saisir le Danemark dans vos livres, tantôt sympathique, tantôt ennuyeux, tantôt accueillant, tantôt refusant l'étranger... Alors, synthétiquement, comment voyez-vous votre pays ?
Leif Davidsen : Celle d'une immense contradiction. Les Danois sont comme une tribu africaine qui n'aime pas que des étrangers viennent leur dire ce qu'ils doivent faire. Le Danemark est comme un village. On peut y faire tout ce qu'on veut... du moment que c'est ce que tout le monde fait.

k-libre : Et que pensez-vous de ce "Danemark derrière l'Oncle Sam. Tu crois qu'on ne le sait pas, même si vous n'êtes pas plus gros que des fourmis. Vous nous soutenez en Irak, en Afghanistan, et vos services secrets sont loyaux et coopératifs". Comme le dit un de vos protagonistes dans À la recherche d'Hemingway.
Leif Davidsen : Au risque de me répéter, dans mes romans, je donne une voix à des personnages très différents.

k-libre : Pour revenir à Per Toflund, pensiez-vous faire une série avec ce commissaire ? Et d'ailleurs, pensez-vous en avoir fini avec lui ? C'est une véritable série au sens ou le personnage évolue (carrière, vie sentimentale...) comment abordez-vous ce personnage récurrent ?
Leif Davidsen : J'en ai fini avec lui. Je sais que dans les pays nordiques, il est courant d'écrire des sagas de cinq, huit ou dix romans avec le même personnage central. Je ne fais pas ça. Je ne l'ai jamais prévu. En fait, je n'y ai jamais vraiment pensé.

k-libre : L'Ennemi dans le miroir est très intéressant à ce sujet car là, vous renversez les rôles et c'est Vuk qui devient le personnage principal et on en viendrait presque (pour ceux qui n'auraient pas lu Le Danois serbe) à être de son côté, vouloir préserver sa petite vie tranquille aux États-Unis. Vous expliquez à la fin comment est né ce roman – si vous pouviez nous en dire quelques mots – mais comment avez-vous fait pour inverser la perspective du lecteur ?
Leif Davidsen : J'ai toujours pensé que Vuk était mon personnage central. Beaucoup de lecteurs m'ont demandé d'écrire un autre roman sur lui. Ils l'aiment bien malgré sa brutalité. Peut-être parce que c'est quelqu'un d'honnête dans un monde de malhonnêteté. Je ne sais pas. C'est un être humain. Et il est mort. Dans le roman comme dans mon esprit.

k-libre : On le voit dur avec les artistes danois : "La plupart des artistes danois ne savaient que se plaindre d'être sans le sou et la seule chose qui paraissait les intéresser, c'était de plonger leur trompe dans les caisses de l'État en se faisant subventionner"...
Leif Davidsen : L'opinion des personnages n'est pas toujours la mienne — loin de là !

k-libre : Dans Le Danois serbe vous faites de nombreuses allusions à la fatwa qui avait été déclarée à Salman Rushdie... Outre les questions que nous fûmes nombreux à nous poser, "comment un tel fanatisme pouvait-il exister à une époque moderne", vous brocardez aussi les "pays occidentaux qui n'avaient jamais pris sérieusement la défense de Rushdie"... Aujourd'hui, l'hypocrisie occidentale avec la realpolitik est encore pire, non ?
Leif Davidsen : Peut-être. La realpolitik a toujours été la base des États. Lorsqu'on écoute les politiciens, il ne faut pas considérer leurs paroles, uniquement les actes.

k-libre : Dans L'Ennemi dans le miroir vous continuez votre radiographie du monde moderne avec Al Qaïda, le fanatisme religieux... et, comme à chaque fois, vous êtes un véritable puits de science, sans être pontifiant, et avec des descriptions remarquables (quand Aïcha parle de sa vie, le retour en Palestine par exemple)... comment faites-vous pour être si criant de vérité ?
Leif Davidsen : Merci ! Je ne sais pas. J'essaie d'être le plus honnête possible. Je tente de voir le monde tel qu'il est et pas comme je voudrais qu'il soit. Écrire un roman peut parfois être un voyage édifiant pour son auteur, comme le fut pour moi l'écriture de L'Ennemi dans le miroir.

k-libre : Nous finissons cette interview fleuve avec votre dernier roman traduit À la recherche d'Hemingway... Vous vous attaquez à un monument... Dans une préface à un roman, Leonardo Padura raconte son admiration et son angoisse d'aborder l'auteur dans un roman, alors vous, comment avez-vous procédé ?
Leif Davidsen : Là, je me moque de moi-même. Lorsque j'avais dix-sept, dix-huit ans, j'ai déménagé aux États-Unis et me suis pris de passion pour Hemingway, ses écrits, mais aussi sa vie. Comme lui, je voulais devenir écrivain et journaliste. C'était un peu comme une fascination d'adolescent pour une vedette rock. Je décidai même — et j'ai bien failli le faire — de boire dans tous les endroits où Hemingway avait bu, ce qui fut plutôt distrayant. De toute façon, John avait besoin d'en savoir plus sur Hemingway pour faire avancer l'intrigue. Ce qui ne m'a pas angoissé, au contraire, c'était drôle. Pour moi, Hemingway reste un grand auteur, mais par bien des points, quelqu'un de peu fréquentable.

k-libre : On se doute que vous avez fait le voyage comme John Petersen, mais l'avez-vous fait spécifiquement pour ce roman (si c'est le cas, nous voilà obligé de plaindre les auteurs de polars pour les sacrifices qu'ils font pour donner corps à leurs fictions) ou est-ce un "mix" de plusieurs voyages ?
Leif Davidsen : Plusieurs voyages. La première fois que je suis allé à Cuba, c'était en 1978, en tant que reporter, et j'ai suivi l'histoire du pays. Par contre, j'ai fait un autre voyage spécialement pour alimenter cette partie du roman. Au Danemark, on était en plein hiver, il gelait et neigeait, alors oui, comme vous dites, nous autres écrivains devons faire des sacrifices.

k-libre : Vous y décrivez une Amérique assez déstabilisante : "Je suis reparti l'esprit étrangement élevé par cet événement, par le fait que la réalité américaine ressemblait à ce que l'on voit à la télé."
Leif Davidsen : Partout dans le monde, quiconque a un poste de télévision a vu des images des États-Unis. La culture américaine est forte et persuasive, si bien qu'on en a tous une image mentale, même si on n'y est jamais allé.

k-libre : Et vous donnez une vision de Cuba "de l'intérieur" : "Ce qu'il me racontait, en fait, c'était l'histoire à l'envers. À l'instar de la plupart des gens de ma génération, j'avais grandi en considérant Fidel Castro, Ernesto Che Guevara et les autres jeunes révolutionnaires comme des héros qui avaient libéré Cuba de la dictature corrompue de Batista."
Leif Davidsen : Cela m'intéresse toujours de voir comment est notre perception du monde comparée à sa réalité. Comment l'histoire nous affecte et comment la perception que nous en avons change au fil du temps. L'histoire peut avancer de façon objective, mais la façon dont on voit ses mouvements et ses événements est grandement subjective.

k-libre : Et il y a une phrase qui pourrait bien résumer un pan de votre œuvre : "L'Histoire avec un grand H dans la petite. Et la petite dans la grande, pas vrai ?"
Leif Davidsen : Oui... C'est peut-être vrai.

k-libre : Et une autre un autre pan : "S'il existe un secret, il y a toujours quelqu'un prêt à le vendre"... Ça me rappelle votre théorie sur Adam et Eve, pas vous ?
Leif Davidsen : Cela semble être le cas de bien des façons dans les relations qu'on a avec les autres personnes dans notre vie.

k-libre : On y voit un Petersen assez naïf parfois, qui pense qu'arrivera "la liberté. Comme un peu partout après la chute du communisme." Liberté relative, et nouveaux ennuis plutôt, non ?
Leif Davidsen : Exactement. Il n'y a que dans les contes de fées que tout finit bien.

k-libre : Et ce même Petersen qui se prend au jeu de l'espion (son initiation nous plonge bien dans une ambiance à la Le Carré) et qui dit : "Je devenais plutôt bon pour inventer des mensonges. Peut-être faudrait-il que j'envisage une carrière de romancier si je rentrais au Danemark"... Alors, vous êtes un bon menteur ?
Leif Davidsen : Pas personnellement. J'essaie d'être honnête avec les autres. Mais je suis un auteur de fiction et, donc, pour écrire mes romans, je dois inventer des personnages et des événements. Mais je trouve que la fiction peut être plus proche de la réalité que le meilleur journalisme. Avec le journalisme, il faut s'en tenir aux faits.

k-libre : En tous cas, vous savez quoi faire avec une histoire : "Telle qu'il la racontait, l'histoire de Clara était assez simple", pense Petersen et il continue avec : "mais la souffrance et le désespoir manquent souvent dans ce genre de récits. Les affrontements, les disputes, les luttes sentimentales intérieures et extérieures. La brutalité et les règlements de comptes latents peuvent être aussi sanglants, mentalement, que le suintement des blessures, des années plus tard." là, on voit tout le travail de l'auteur : partir d'une histoire assez simple pour en faire un grand roman, non ?
Leif Davidsen : Merci, une fois de plus. Je l'espère. Je tente de faire de mes personnages de vraies personnes animées par de vrais sentiments. Je ne veux pas de super-héros, mais des êtres de chair et de sang pris dans des événements auxquels ils ne pensaient pas être mêlés un jour. On ne peut écrire de roman racontant l'histoire d'un mariage heureux. Il faut des conflits. En même temps, je tente de les rendre les plus passionnants possible, afin de distraire le lecteur et peut-être le rendre un peu plus sage.

k-libre : Et pour finir, plus anecdotiquement, Petersen qui ne pourrait vivre à Cuba car il ne pourrait se passer du changement des saisons, de l'automne et de l'hiver, c'est un peu vous ?
Leif Davidsen : Pas vraiment. J'aime la chaleur, mais en vieillissant, j'apprécie de plus en plus le passage des saisons et je ne déteste plus autant qu'avant les hivers danois et leur grisaille. J'écris bien en hiver et adore écrire lorsque la pluie tombe à flots dehors. Mais chaque année, je dois m'éloigner de ce petit pays, si sombre durant les mois d'hiver. Ce sont sans doute ces hivers sombres et humides qui expliquent cette tendance à la mélancolie qui fait partie de l'âme nordique.

k-libre : Un grand merci à vous
Leif Davidsen : Merci à vous !

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret


Liens : Leif Davidsen | À la recherche d'Hemingway Propos recueillis par Christophe Dupuis

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