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Les barreaux qui la composaient étaient surmontés de pointes de fer : il y en avait exactement dix-huit sur chacun des battants. S'il avait été en forme - terme qu'il employait pour définir les moments où il n'avait pas sa crise -, il aurait escaladé la grille en moins de deux, sans le moindre effort.
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mercredi 04 décembre

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Landru, Marie Besnard et le corbeau

MAJ mercredi 04 décembre

Landru, Marie Besnard et le corbeau
© D. R.

21 avril 2010 - Ciel, la cuisinière !
Pour ceux qui ne connaissent pas encore leurs classiques du crime, les éditions De Vecchi rééditent en poche (5 €) leur fameuse collection "Grands Procès". Pour ce prix-là, n'hésitez pas ! Les auteurs sont des journalistes confirmés qui ont eu accès non seulement aux livres précédents sur le même thème mais aussi aux comptes-rendus d'enquête. Ils sont efficaces, concis, dotés de petits encarts judicieux (à la place des fameuses notes en bas de page), d'une bibliographie et d'une chronologie parfaites et s'appuient toujours sur les minutes du procès qui, plus que les articles de journaux, sont dignes de foi.. Pour preuve, l'excellent L'Affaire Landru de Christine Sagnier (historienne d'art, diplômée de la Sorbonne et de l'École du Louvre. Documentaliste pour différents musées et galeries, journaliste dans des magazines d'art, et passionnée par les grands procès judiciaires non élucidés) qui replace le mystère au centre de l'affaire. De 1915 à 1919, Landru a publié des annonces matrimoniales dans le Petit Journal pour attirer des veuves dans une propriété louée à Gambais. Deux familles s'inquiétant des non-réponses à leurs lettres contactent le maire de la commune qui les met aussitôt en relation. Les familles d'Anna Collomb et d'Ernestine Buisson vont donc soulever le lièvre. "Soit, avoue l'homme, je suis Landru ! Mais cela ne prouve pas que je sois le criminel que vous dites ! D'ailleurs, vous devriez le savoir, commissaire, un escroc n'est jamais un assassin !" Onze femmes et le fils adolescent de l'une d'elles (sans oublier quelques chiens) ont donc disparu corps mais pas biens puisqu'on en retrouve entassés en joyeux bric-à-brac dans des garages-garde-meubles (y compris les dentiers et les postiches !). Mais si Henri-Désiré Landru avoue quelques prêts d'amies "parties en voyage", il nie tout crime. L'examen des cendres de la fameuse cuisinière va permettre de découvrir quelques débris d'os humains et animaux mais la procédure n'est pas respectée et force est de constater que quelqu'un a fort bien pu mettre ces indices en place après la première perquisition qui, elle, n'avait rien donné. De fait, après des essais pour faire brûler une seule tête de mouton dans la (petite) cuisinière, l'entreprise d'y faire disparaître en fumée onze cadavres paraît titanesque. Christine Sagnier n'oublie aucun volet de cette retentissante affaire : social, politique, culturel. Elle conclut sur une hypothèse incroyable : "Et s'il n'y avait jamais eu d'affaire Landru ? Si tout ce tapage avait été orchestré par les politiques ? Cette question, une partie de la presse d'opposition se la posa, exaspérée par ce délire collectif. L'Œuvre, Le Canard enchaîné, Bonsoir, tous affichèrent très tôt leur scepticisme, passant en revue les invraisemblances de l'affaire : Landru, en pleine guerre, sillonnant la région parisienne, avec de faux papiers, de multiples pseudonymes et pourquoi pas des cadavres de femmes dans le coffre ? Lui qui portait déjà un lourd casier judiciaire, alors que tous les hommes valides étaient au front, passait allègrement les points de contrôle fleurissant sur les routes. Et sans jamais se faire remarquer ! Landru, lui encore, qui faisait la nique à la pénurie, se procurait des centaines de kilos de charbon et des litres d'essence... Était-ce bien vraisemblable ?" (p. 193).

Ciel, une femme de ministre !
Pour les romantiques, dans la même collection, on conseillera L'Affaire Lafarge de Gérard Robin : l'histoire d'une jeune femme de bonne famille mariée en 1839 à un bourgeois ruiné de province qui meurt en six mois d'un probable empoisonnement à l'arsenic. Marie Lafarge va devenir une "people" de l'époque non seulement au cours de son procès où se déchirent les premiers grands toxicologues mais par sa plume que l'on compare, à juste titre, à celle de Chateaubriand. Pour les politiques, il y a le choix dans la collection "Grands procès" : Dreyfus, la Bande à Bonnot, Mata Hari, Louis XVI, le Canal de Panama, Stavisky et la demie mondaine Marguerite Steinhel font tous l'objet d'un titre ultra documenté, sans oublier L'Affaire Caillaux (Lionel Dumarcet), où une femme de ministre révolvérise dans son bureau le directeur du Figaro auteur d'une odieuse campagne de dénigrement de son mari (il allait publier des lettres prouvant qu'elle avait été la maîtresse du ministre avant d'être sa deuxième femme : Mme Caillaux ne supportant pas ce déballage public et voulant sauver l'honneur de sa fille chérie). Incroyable, elle sera acquittée ! Mais Joseph Caillaux sera "traîné dans la boue" et accusé de traîtrise avec l'ennemi. À travers cette retentissante affaire qui arriva en 1914, en même temps que le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le lecteur découvre avec effarement les droits que s'accordaient les journaux. Les amateurs de terroir seront ravis par L'Affaire de l'abbé Oriol (Lionel Dumarcet) où le jeune curé d'un village perdu dans les Pyrénées se livre, en 1881, à la débauche avec l'institutrice publique et deux sœurs d'âge mûr confites en dévotion. Les deux sœurs ont-elles été empoisonnées par le curé expert en plantes médicinales ? L'Affaire Marie Besnard (Sophie Darblade) n'est plus à détailler avec son accusation de treize empoisonnements. L'Affaire Papin (Sophie Darblade) est elle aussi très connue puisqu'elle inspira Jean Genet pour sa pièce Les Bonnes : deux sœurs employées modèles de bourgeois manceaux, assassinent et mutilent leur patronne et sa fille...

Ciel, une anonyme !
Pour finir, citons un titre paru chez Hachette littérature qui aurait eu sa place dans cette collection : Le Corbeau, histoire vraie d'une rumeur de Jean-Yves Le Naour (historien et spécialiste de la Première Guerre mondiale) s'intéresse à la fantastique épidémie de lettres anonymes qui s'abattit sur la ville de Tulle de 1917 à 1922. Signée "l'œil de tigre" (un nom de pierre semi-précieuse avec des strates colorées), les lettres ordurières étaient déposées dans les lieux publics à charge pour ceux qui les trouvaient de les porter à leurs destinataires. Par cette technique destinée à court-circuiter l'enquête par la voie postale, "l'œil de tigre" qui commença par viser le personnel interne à la Préfecture ne tarda pas à agrandir son terrain de chasse en associant toute la population à ses délires. Au terme de scandales et d'un suicide, la coupable parut désignée et se présenta à son procès vêtue de voiles noirs. C'est ainsi qu'un journaliste la compara à "un corbeau". L'histoire serait passée aux oubliettes sans Louis Chavance qui écrivit un scénario intitulé L'Œil du serpent et directement inspiré de l'Affaire de Tulle. Henri-Georges Clouzot tourne ensuite le film pendant la guerre, sous le régime de Vichy, avec la Continental sous contrôle des nazis. Sorti en 1943, Le Corbeau va non seulement associer dans le langage courant le nom de cet oiseau avec l'auteur de lettre anonyme, mais déchaîner les passions. Le film sera interdit après-guerre par la commission d'épuration, Clouzot et Chavance accusés de collaboration seront frappés de deux ans d'interdiction professionnelle tandis que tous les acteurs seront inquiétés... Jean-Yves Le Naour a écrit ici un modèle d'ouvrage sociologique qui se lit comme un roman.

Michel Amelin

NdR - Cet article est précédemment paru dans La Tête en noir n° 129 daté de novembre-décembre 2007, et est ici reproduit avec l'aimable autorisation de Jean-Paul Guéry.
Liens : Michel Amelin | La Tête en noir Par Michel Amelin

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