Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais par L. Lenoir
Paris : Le Masque, juin 2010
478 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7024-3501-4
Coll. "Labyrinthes", 94
Périlleuses aquarelles
Dans les familles aisées nobles ou bourgeoises de la société victorienne, apprendre le dessin, l'aquarelle et la peinture fait partie de l'éducation des jeunes filles. Heureuse coutume qui va permettre en cet été 1850 à Walter Hartright d'être engagé par sir Frederick Fairlie pour enseigner le dessin à sa nièce Laura et à la demi-sœur de celle-ci, Marian Halcombe. Toutes deux sont orphelines et placées sous sa tutelle. Walter devra, en outre, travailler à la restauration d'estampes anciennes. Il ne s'agit que d'un emploi temporaire de quatre mois exigeant que Walter quitte Londres et aille s'installer chez sir Fairlie, à Limmeridge House dans le Cumberland. Mais il est confortablement rémunéré, et c'est une opportunité qui ne se refuse pas quand on est impécunieux. Même si l'on a été légèrement bouleversé par une inconnue croisée de nuit dans une rue londonienne qui tient de curieux propos au sujet des Fairlie et d'un certain baronnet dont il faut se méfier. Oh, ce n'est qu'une "dame en blanc", et non une "dame blanche" - elle n'en jouera pas moins dans l'aventure qui commence un rôle des plus mystérieux.
Walter est un jeune homme avenant aux manières irréprochables – c'est un gentleman. Laura est une charmante et blonde personne de dix-neuf ans, fine et sensible – cela ne fait pas un pli, les deux blancs oiseaux tombent éperdument amoureux l'un de l'autre.
La bluette tourne court quand Laura apprend à Walter que leur amour restera sans suite : elle a en effet promis à son père mourant d'épouser sir Percival Glyde, et la date du mariage se rapproche... À peine contracté, le mariage de raison vire au cauchemar : le noble époux s'avère être un vil escroc criblé de dettes, cupide et cynique de surcroît... Infortunée Laura qui, fort heureusement, peut compter sur l'indéfectible soutien de sa demi-sœur ! On en resterait au banal mélodrame sentimental façon Harlequin si... les besoins d'argent du baronnet ne conduisaient celui-ci à ourdir de sinistres plans dans lesquels les vies humaines comptent pour bien peu. Assisté par le comte Fosco – énigmatique Italien haut en couleur et insaisissable, énorme, raffiné à l'excès dans ses politesses au point d'en être mielleux, confit en affection pour des souris blanches et un perroquet... – qui mène la danse comme Satan règne sur les damnés, sir Percival doit aussi veiller à ce que demeure enfoui un secret qui pourrait le perdre à jamais. Et, pour ça, il est prêt à tout. Même au meurtre.
Nous voilà enfin en terrain noir ! Et sur ce terrain-là, rien ne manque à l'arsenal déployé par sir Glyde et son éminence grise pour mener à bien leurs projets : dissimulations en tout genre, usurpation d'identité, internement abusif, lettres communiquées sous le manteau mais le plus souvent interceptées et réécrites par des mains malveillantes avant qu'elles parviennent à leur destinataire, etc. etc. etc. Comme si cet incessant ballet de manœuvres plus ou moins sordides n'ayant d'autre but que de faire passer la fortune de Laura Fairlie dans les poches de son époux ne suffisait pas, la "dame en blanc" s'en mêle qui espère protéger Laura de son mari.
Cette intrigue formidablement tortueuse se suit d'un œil avide ; l'intérêt du lecteur est maintenu par un semis d'allusions laissées en suspens dont on attend longtemps l'explication, par le recours à une multitude de narrateurs qui prennent en charge le récit à tour de rôle dès lors que l'on atteint un point crucial de l'histoire et, in fine, par l'humour qui parcourt le texte, concentré pour l'essentiel dans quelques personnages quasi caricaturaux tels le comte Fosco et le très-nerveux Frederick Fairlie.
Avec ses innombrables coups de théâtre, ses amples développements, sa cohorte de protagonistes et ses méandres narratifs, La Dame en blanc est LE roman romanesque par excellence. Toutes les teintes de l'aventure y sont apposées, fût-ce à l'état de simple touche, le fantastique lui-même projette une ombre subreptice en la personne de cette inconnue vêtue de blanc évoquant un fantôme sans en être un. Tout ce qui "fait vibrer" est là, magistralement orchestré par un auteur qui achève de rendre retorse son histoire en la dotant d'une structure narrative éminemment complexe.
Le roman de Wilkie Collins repose sur des figures – personnages et situations – dont le caractère paraîtra, aujourd'hui, d'autant plus convenu qu'il se double d'un certain "manichéisme de l'apparence" un peu trop marqué. Mais l'intrigue est si bien conduite et le suspense si habilement tendu que l'on s'abandonne sans résistance au plaisir un rien enfantin d'une lecture "empathique" dominée par la seule émotion que causent les péripéties traversées par les personnages. De plus, la traduction est d'un style très plaisant – élégant et délicat, cultivant avec aisance et à-propos l'imparfait du subjonctif mais fluide et simple néanmoins – qui incite à ne sauter aucun passage, même au plus long des descriptions et des digressions qui suspendent le récit.
La Dame en blanc est de ces romans d'autrefois d'excellente facture qui rafraîchissent opportunément l'esprit en rompant avec les productions actuelles les plus courantes.
Citation
Dans la vie, certains courent, d'autres flânent. Mrs Vesey, elle, s'asseyait.