Un visiteur inattendu

- C'est un assassin. Je l'ai vu dans ses yeux. J'aurais dû le tuer là-bas, dans le taxi. - Vous êtes tous des assassins.
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jeudi 28 mars

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Pièce de théâtre - Policier

Un visiteur inattendu

Huis-clos - Assassinat - Whodunit MAJ dimanche 01 mai 2022

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 35 €

Frédérique Lazarini
Scénario adapté de l'œuvre de Agatha Christie
The Unexpected Guest - 1958
Traduit de l'anglais par Gérald Sibleyras, Sylvie Perez
Paris : Les Athévains, avril 2022

Devine qui va venir ce soir...


La romancière dramaturge
Agatha Christie, outre ses très-fameux romans, a écrit une petite vingtaine de pièces de théâtre, tour à tour adaptations de ses propres romans, de fictions radiophoniques, ou drames originaux. Cette œuvre dramatique demeure, pour l'essentiel, inédite en France. Aussi faut-il saluer l'initiative des éditions parisiennes L'Œil du Prince / La Librairie théâtrale qui ont entrepris de publier huit de ces pièces dans une traduction conjointe de Sylvie Perez et Gérald Sibleyras. Trois ont paru en novembre 2018 (Le Vallon, La Toile d'araignée, Le Prix du sacrifice), trois autres en janvier 2020 (Meurtre sur le Nil, Un visiteur inattendu, Verdict) et les deux dernières en novembre 2020 (Reconstitution, Le Point de rupture).

N. B. – Ces quelques lignes d'introduction doivent la vie à cet article signé Pierre Gelin-Monastier, publié le 9 décembre 2021.

The Unexpected Guest
Un visiteur inattendu fait partie des intrigues originales. La pièce a été créée le 12 août 1958 à Londres, au Duchess Theatre, dans une mise en scène de Hubert Gregg (1914-2004). Il y aura plus de six cents représentations – dont une, sans que les comédiens aient été prévenus, en présence de la reine Elisabeth II accompagnée des époux Mountbatten ! – et fera l'objet d'une novellisation en 1999, sous la plume du critique australien Charles Osborne (traduite par Pascal Aubin, cette novellisation est parue au Masque). Un franc succès, dont on peut s'étonner qu'il soit resté cantonné outre-Manche : la pièce était en effet inédite en France jusqu'à la parution de cette traduction – dont Frédérique Lazarini s'est emparée, louant au passage sa qualité dans sa "note d'intention", pour monter son spectacle, créé le 24 janvier 2022 au théâtre Théâtre Artistic Athévains (Paris 11e).
La liste des personnages, au lieu d'afficher pour chacun une fonction, un statut social ou familial, des liens de parenté, indique ici un âge suivi d'un adjectif qualifiant plutôt le caractère ("retors", "rigoureux"...) ou l'attitude générale ("martial", "lunaire"...). Le décor reste le même tout au long des deux actes que comprend cette courte pièce – deux scènes pour le premier acte, une seule pour le second – et l'intrigue, ramassée en moins de vingt-quatre heures, ne s'embarrasse pas de complications secondaires. On songe, d'emblée, à la "règle des trois unités" de notre théâtre classique...
Il ne faut pourtant pas se fier à cette simplicité qui paraît s'affirmer au lever de rideau : peu à peu l'évidence exposée vacille et "l'histoire simple" se complexifie à fur et mesure que se révèlent des ramifications poussées loin dans le passé, le long desquelles cristallisent des sentiments, des passions et des rancœurs accumulés. À la lecture, convenons que le texte est assez ennuyeux : les répliques, de style conversationnel, ne sont pas de celles qui se tiennent par la seule grâce de la langue et conservent une vie propre hors de la scène comme, par exemple, les vers de Racine ou de Hugo, les proses moliéresques... Mais le récit qu'il tisse, lui, ne laisse pas d'être prenant, admirablement construit, qui mène d'un début peu crédible à un dénouement-choc projetant une clarté rétrospective bouleversante sur ce moment inaugural auquel il peut être difficile d'adhérer au premier abord...

Par une morne nuit de novembre, un épais brouillard enveloppe d'ouate la région située près du canal de Bristol, au sud du pays de Galles. Un automobiliste, Michael Stocker, s'est laissé prendre à son piège et a versé dans le fossé. En quête d'assistance, il s'aventure, lampe de poche en main, jusqu'à une propriété dont il aperçoit la silhouette dans la brume, parvient à la terrasse et pousse une porte-fenêtre qui, à sa surprise, s'ouvre sans résistance. Il entre en donnant de la voix, appelant, expliquant ce qui lui est arrivé tandis qu'il aperçoit, dans le faisceau de sa lampe, une masse avachie dans un fauteuil roulant. Un cadavre ! Et face à lui une femme tenant un revolver à bout de bras. Qui avoue être la meurtrière – Laura Warwick confesse sans sourciller à l'inconnu qu'elle vient de tuer son mari, Richard Warwick, et le prie d'appeler la police. Mais il n'en fait rien. Bien au contraire : il se met à maquiller la scène de crime, à inventer un scénario et à "fabriquer des preuves", jusqu'à tirer lui-même un coup de feu, de telle manière que Laura ne puisse être soupçonnée par la police...
Telle est la première scène qui en effet plonge directement dans l'action mais remplit en même temps la mission dévolue aux scènes d'exposition : tandis que Michael Stocker s'active et s'improvise ange gardien d'une meurtrière potentielle on découvre, à travers le dialogue qui s'installe entre les deux personnages, d'une part les autres habitants de la maison et, d'autre part, un avant-récit conséquent que l'on pressent être l'humus de l'événement tragique tout juste survenu. L'on apprend ainsi comment Laura et Richard se sont rencontrés, que celui-ci était un passionné de chasse avant qu'un accident le réduise à l'immobilité, que ce handicap l'a rendu cruel, violent, en un mot invivable à son entourage qui pourtant le supporte, que deux ans auparavant il a tué un petit garçon parce qu'il roulait trop vite en étant sous l'emprise de l'alcool... Toute une antériorité tenue en quelques répliques, où se révèlent des faits, des caractères, des personnalités. La scène 2, située quelques heures plus tard, en début de matinée, marque l'arrivée de la police – le sergent Caldwallader et l'inspecteur Thomas. Collecte d'indices, interrogatoires successifs... les investigations des policiers avancent et les relations entre les personnages se précisent, se nuancent, le passé change d'aspect selon qui en parle. Puis tout à la fin du second acte, la tragédie s'impose en un rapide bouleversement – le rythme et le ton changent du tout au tout, le dénouement tombe et abasourdit.

Le spectacle aux Athévains
Parmi les huit pièces publiées à L'Œil du prince, Frédérique Lazarini a choisi de monter Un visiteur inattendu "[...] parce que l'action démarre de façon fulgurante, aiguë et fascinante". Mais aussi parce qu'elle a retrouvé dans cette pièce un des traits propres aux œuvres de la "Reine du crime" : l'humour qui, selon elle, "culmine dans le tempérament plein de charme et de nonchalance de l'inspecteur Thomas" – un personnage que l'auteure affecte de l'adjectif "rigoureux"... Elle s'en est emparée, et l'a adaptée plus que montée, prenant ses distances avec un texte dont elle supprime d'ailleurs un personnage, le sergent Caldwallader – un "trentenaire lunaire" – pour ne plus avoir, comme enquêteur, que l'inspecteur Thomas. Cela efface les incursions humoristiques qu'amenaient certaines interventions de ce sergent féru de poésie et qui lui aussi avait "planté" sa voiture dans le fossé mais la figure de l'inspecteur Thomas y gagne en présence. Un changement d'importance, mais opéré en témoignant un total respect à la lettre des répliques, exception faite bien sûr des réécritures imposées par la disparition du sergent "lunaire". À d'autres détails l'on voit qu'elle s'est affranchie, avec subtilité, des indications, souvent très précises, voire tatillonnes, de la dramaturge. Pour le décor notamment : c'est davantage une "pièce à vivre", que "le bureau de Richard Warwick" qui occupe la scène, avec en son centre une table basse, un canapé, des sièges, des consoles, des "murs de livres"... Ici et là, des éléments qui rappellent le passé de grand chasseur du défunt : une peau de fauve en guise de tapis, un imprimé "zèbre" pour les coussins – substituts, sans doute, des "trophées de chasse" décrits dans la didascalie initiale qui ont disparu des murs. Ou pour les costumes : Gove porte une tenue d'infirmier, blouse, calotte et pantalon blancs, quand Agatha Christie l'avait vêtu "d'une veste en alpaga gris et [d']un pantalon à rayures", l'affectant même d'un "œil divergent".

Lorsque l'on arrive dans la salle pour gagner son fauteuil elle est plongée dans la pénombre ; on ne distingue qu'à peine le décor, déjà en place sur la scène, une bande son diffuse des chants d'oiseaux – des chants légers, guillerets, pareils à ceux qui retentissent dans nos jardins aux premiers jours du printemps, curieux accompagnement sonore quand on sait que l'histoire commence... au mois de novembre. Le décalage s'accentue quand on regarde le petit écran côté cour, où sont projetées, comme en désordre avec par moments de "blancs", des images d'oiseaux de toutes sortes, dont des rapaces, qui manifestement ne correspondent pas aux chants égrenés. Peut-être une façon de signifier qu'il ne faut pas se fier trop facilement à ce que l'on voit ? Ou (et ?) que la mise en scène va être marquée au sceau du 7e Art ?

Car tel est bien le cas mais un cinéma "à l'ancienne", en noir et blanc, avec des images qui "grattent" et tressautent au rythme du déroulement des bobines, rappelant les séances de projection des "ciné-clubs" d'autrefois. Le "signe" n'en est pas seulement ce petit écran à cour : tout le spectacle est jalonné d'un accompagnement vidéo et sonore qui évoque clairement des séquences cinématographiques ou mime le générique de cinéma en un rappel de premier degré. C'est, ici, un élément scénographique qui s'ajoute aux autres – décor, costumes... – et les enrichit sans jamais les éclipser ou s'y substituer ; tandis que les comédiens parlent, se meuvent les images par moments surviennent : ce sont leurs pensées qui se mettent à vivre sur les murs et le spectateur de comprendre au-delà des mots prononcés et des postures adoptées ce qui se trame dans les tréfonds de tel ou tel personnage. Perd-on pour autant le contact avec le jeu des interprètes ? Non, bien au contraire : l'interprétation est soulignée, mise en valeur et fort à propos : elle est en tous points remarquable de justesse et de sensibilité. Deux personnages en particulier trouvent ici "leur" incarnation : Gove, en la personne d'Antoine Courtray – son flegme quasi imperturbable, sa voix douce, cet impalpable sourire dont il ne se départit presque jamais tandis que filtre entre ses paupières mi-closes un regard fuyant : le "retors" par excellence, tel qu'on peut le rêver en lisant ce qualificatif en face de son nom dans la liste de personnages – et Jean. "Attardé", indique la dramaturge ; "différent", "gentil", "affectueux mais retardé" dit Laura. Attachant, donc. Et, de fait, Pablo Cherrey-Iturralde est un Jean bouleversant... émotionnellement à fleur de peau, tour à tour câlin, colère, effrayé, prostré... Totalement imprévisible, emporté dans l'acuité du sentiment qu'il éprouve il est, sur scène, cet enfant dans un corps adulte que l'on associe, par réflexe, au terme "attardé". Quant à Stocker et Laura, ils échangent très vite des regards éloquents ; des flexions de corps à l'unisson attestent qu'une sorte de coup de foudre est en train de les lier, ce qui rend plus crédible cet empressement immédiat du "visiteur inattendu" à prendre fait et cause, jusqu'à se compromettre lui-même, pour une inconnue censée être une meurtrière. Oh certes il lui dit tout à trac qu'elle est une "femme séduisante" et que l'imaginer pendue ou incarcérée à vie le chagrine, mais posées inertes sur les pages d'un livre, ces paroles manquent singulièrement de vraisemblance. Tandis que jouées, et dites, surtout comme elles le sont ici, elles s'emplissent de sentiment et emportent l'adhésion.

Par sa mise en scène recherchée, saupoudrée de fines subtilités mais limpide malgré tout, Frédérique Lazarini ajoute, sinon du sens, du moins de la puissance dramatique à la pièce d'Agatha Christie, qui m'a parue magnifiée et ses ressorts les plus forts admirablement valorisés. Dans ce contexte, la "disparition" du sergent Caldwallader et les aménagements qu'elle a entraînés, témoignages les plus manifestes de la part d'autorat revenant à la metteuse en scène, seraient aussi, paradoxalement, ceux d'une extrême fidélité à la pièce et à son auteure.

Le spectacle a été créé le 24 janvier 2022 au théâtre Artistic Athévains, avec une distribution légèrement différente – Sarah Biasini incarnait Laura Warwick et Stéphane Fiévet l'inspecteur Thomas.

Théâtre Artistic Athévains
45 rue Richard-Lenoir
75011 Paris
Un visiteur inattendu (d'après la pièce en deux actes d'Agatha Christie, traduite en français par Sylvie Perez et Gerald Sibeyras, éditions L'Œil du Prince, 2020).
Titre original : The Unexpected Guest, 1958
Mise en scène : Frédérique Lazarini, assistée de Lydia Nicaud
Scénographie et lumières : François Cabanat
Costumes : Dominique Bourde
Vidéo : Hugo Givort et Vardden
Son : Henri Coueignoux
Durée : 1 h 30

Avec (par ordre alphabétique)
Pablo Cherrey-Iturralde : Jean Warwick
Cédric Colas : Michael Stocker
Antoine Courtray : Henry Gove
Emmanuelle Galabru : Mlle Bennett
Frédérique Lazarini : Laura Warwick
Françoise Pavy : Mme Warwick
Robert Plagnol : Julian Farrar
Guillaume Veyre : inspecteur Thomas

Tarification :
Plein tarif : 35 €.
+ de 60 ans, personnes en situation de handicap : 28 €.
Étudiants, - de 26 ans, demandeurs d'emploi, intermittents : 15 €. Programmation :
lundi : relâche
mardi : 20h30
vendredi : 20h30
samedi : 17 heures et 20h30 dimanche : 15h00

Citation

LAURA – Bon, on ne va peut-être pas discuter toute la nuit. Inutile de retarder davantage l'inéluctable. Vous savez comme moi qu'il faut appeler la police [...] (I, 1).

Rédacteur: Isabelle Roche dimanche 01 mai 2022
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