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Grand format
Inédit
Tout public
260 p. ; 21 x 12 cm
ISBN 978-2-84111-564-8
Coll. "Les Affranchis"
Actualités
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Lettre et le néant
Je vous entends déjà dire, alors que vous venez de parcourir la quatrième de couverture de Monsieur le Commandant de Romain Slocombe, qu'il ne s'agit là que d'un roman de plus sur la période de l'Occupation. Certes, le sujet pourrait passer pour éculé tant, depuis bientôt soixante-dix ans (et c'est là sans compter les œuvres de ceux qui s'étaient fait les augures du désastre dès la fin des années 1920), la littérature, tout comme l'a fait le cinéma, s'est aventurée jusque dans les moindres recoins - du moins pourrait-on le croire - de cette période de l'histoire. De Vercors à Jonathan Littell, en passant par Robert Merle, Marcel Aymé, Curzio Malaparte ou Didier Daeninckx, pour le meilleur et le moins bon, les auteurs se sont succédé sur le sujet. Romain Slocombe ajoute son nom à cette longue liste d'une manière très réussie. Il développe dans Monsieur le Commandant un point de vue qui, à ma modeste connaissance, n'a pas été souvent choisi, peut-être même jamais. Romain Slocombe prend pour narrateur un intellectuel - car sans doute, comme lui, n'a-t-il jamais partagé "le ridicule romantique de vouloir que les écrivains fussent des saints ou des héros, et qu'on les regardât les mains jointes" - et pose la question de la place de celui-ci durant l'occupation.
Paul-Jean Husson est un écrivain respecté, siégeant à l'Académie française. Comme bon nombre d'intellectuels français de l'époque, il adhère à la proposition hitlérienne d'une Europe nouvelle débarrassée des Juifs, des francs-maçons, des communistes et de toute la vermine qui précipite l'Occident vers l'abime. Cette position, il la soutient publiquement, publiant dans la presse des tribunes antisémites virulentes. Jusque là rien de nouveau, me direz-vous, la question ayant été maintes fois débattue après guerre et aujourd'hui encore, autour des cas de Céline, Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Paul Morand et bien d'autres. Mais Romain Slocombe se tient loin du manichéisme et nous épargne le poncif des gentils résistants contre les méchants collabos. Au fil de la lettre qu'il écrit à Monsieur le Commandant, lettre qui constitue le roman lui-même comme l'exige la collection "Les Affranchis" dans laquelle il est publié, Paul-Jean Husson dévoile son secret. En l'absence de son fils parti combattre au côté du général de Gaulle, il héberge et protège sa brue, Ilse, une belle Allemande de laquelle il s'éprend comme il pensait que la vie ne lui permettrait plus de le faire. Mais à l'inceste, qui demeure même s'il renie son fils pour sa trahison envers le Maréchal, s'ajoute un autre motif de culpabilité. La belle Ilse est de confession israélite. L'affaire comme on le voit n'est pas si simple. Voilà que l'homme dont les idées tendaient à l'éloigner de tout humanisme se voit rappelé à son humanité par celle qui figure parmi les objets de sa haine. Si ses convictions de la nécessité de redresser l'Occident, de le nettoyer une bonne fois pour toute ne le quittent pas, elles sont toutefois ébranlées lorsque son intimité s'en trouve menacée. C'est alors que le vieil homme révèle toute sa naïveté – à cet âge d'ailleurs, et au vu de son statut, il s'agit plutôt d'une perte de lucidité – et que la situation apparaît bien plus complexe qu'une simple ballade des bons et des méchants.
Au-delà du cas particulier de Paul-Jean Husson, comme il se fait le témoin d'une époque à chacun de ses écrits, Romain Slocombe se fait le rapporteur d'une période trouble dans ce roman richement documenté où jamais les recherches effectuées par l'auteur ne viennent perturber la lecture. En bon conteur, Romain Slocombe use d'un style d'une grande fluidité pour les intégrer avec élégance dans le récit. Tout coule, naturellement. Monsieur le Commandant est un roman passionnant, qui confirme que le sujet n'est pas encore tari et que Romain Slocombe fait partie des très bons auteurs actuels. Ce que semble confirmer sa sélection pour le prix Goncourt 2011.
On en parle : 813 n°117
Récompenses :
Trophée 813 du roman francophone 2012
Calibre 47 2012
Citation
Je n'ai jamais partagé le ridicule romantique de vouloir que les écrivains fussent des saints ou des héros, et qu'on les regardât les mains jointes