Le Festival des macchabées

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Roman - Noir

Le Festival des macchabées

MAJ mardi 10 janvier 2012

Note accordée au livre: 5 sur 5

Grand format
Réédition

Tout public

Prix: 18 €

André Héléna
Édite, juin 2011
362 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-84608-304-1
Coll. "Noir"

Macchabées sur macchabées

Des macchabées signés Maurice Delbart, "le genre de gars qui ne s'adapte qu'aux périodes exceptionnelles durant lesquelles la peau d'un homme vaut quelque fois moins que le prix de la lettre de faire-part". Delbard truandait place Pigalle, avant guerre.
Et des macchabées signés Bams, boucher-charcutier catalan au chômedu pour cause d'occupation allemande, de rationnement, de débandade générale. Bams ne découpe plus : il tranche. Carotides et lards teutons, franchouillards, collabos, ou simplement trop bavards, vénaux ou double joueurs.
Cette période "exceptionnelle", c'est "l'hiver brun" de 1943. La camisole idéologique et germaine, trop polie, sur le Sud laminé par la vent, à l'os. Vie et liberté humaines y sont conservées en chambre froide.
Nos deux inséparables, Delbart et Bams1, quittent le maquis pour le Renseignement. Cette mission tient d'ailleurs de l'aubaine : Delbart (le narrateur, car le Festival est dit à la première du singulier), est pris d'accès de colères incontrôlables, devant l'injustice, la bestialité bien ordonnée, le viol physique comme moral, ou toute intimidation au calibre. Delbart élimine pour moins encore, ce qui nous vaut une cavale incessante, de pendables migrations par wagons à bestiaux, je veux dire à Français, à grands trafiquants de poissons et de sauciflards, à résistants, à troufions allemands résignés, de Perpignan à Lyon, de Narbonne à Leucate, dont le Catalan garde un souvenir aussi précis et frais que des jours dentelés de ses premiers rencards érotiques. C'est d'ailleurs le tranche-lard de Bams qui leur sauve le plus souvent la mise, car lui ne met dans le meurtre que la conscience zen du boucher qui, de zigouillé en zigouillé, s'enorgueillit de préserver le tranchant de sa lame.
Leur mission : barboter les plans des fortifications érigées autour de Leucate dans la perspective d'un débarquement provençal. Une faune hétéroclite turbine là, sur les chantiers de défense allemande. Du travail obligatoire à domicile.
L'absurdité de cette "période exceptionnelle" est lourde et totale : le débarquement, on l'ignore encore, abreuvera les sillons bas-normands, et les Allemands détruiront eux-même les fortifications de Leucate, mais leurs plans de construction n'en sont pas moins un enjeu de résistance aussi creux que crucial. Et cet épisode ne dépareille en rien dans le feuilleton morbide et larvé de cette période. Ce sont le plus souvent des stratégies avortées qui se monnaient, et suffisamment cher pour que les résistantes les plus intrépides trahissent, par appât de la soie, par amour du frisson ennemi. C'est donc doublement pour rien, encore, que Delbart aura trucidé les élues de son cœur. Et même concernant une parfaite ordure - car la pègre elle aussi lâchera ses lâches dans la mêlée molle de cet hiver 1943 - on ne trouvera à Delbart d'autre mobile que celui de maintenir sa carcasse en mouvement. Mais à peine aura-t-il abandonné son macchabée dans les cabinets du purgatoire - traîné et enguirlandé par son compère serineur, qui lui ne goûte guère le crime inutile - qu'un garde barrière ferroviaire se montrera tout à fait prêt à envoyer nos deux pieds nickelés au poteau ou au fer pour avoir regardé son clébard de travers. Une période exceptionnelle, on vous dit !
On frôle la nausée comme le fou rire nerveux, mais cela tient moins à la profusion de macchabées ou à leurs rictus incrédules et définitifs, qu'à l'époque que nos espions traversent à découvert, sans scrupule, mais avec deux ou trois principes humanistes qui les maintiennent en vie. Le tableau est impitoyable, et le pessimisme, autant dire le réalisme d'André Héléna (1919-1972), est sans appel ni rémission. Pourquoi donc un acrobate acquis à la milice, au respect du désordre établi, se métamorphoserait-il, après guerre, en démocrate intraitable, en ami de la vie et de ses promesses foutraques ?
Le vertige et la noire jubilation de ce roman tiennent avant tout au style savoureux d'Héléna, dont l'argot très précis fleure bon la sédition. Rien n'en dépasse. Rien qui ne serve son propos anarchiste. Sa liberté de ton est sans doute à la mesure de la saloperie de cette période, telle que nous la décrit Jean-Pierre Deloux dans son excellente préface, "Les Pieds Nickelés Résistants"2, revenant dans le détail sur les accointances entre grand banditisme et politique collaborationniste. Deloux évoque maintes figures crapuleuses et retrace la généalogie des gangs les plus fameux, comme celui des "Tractions-Avant", dont les quelques truands intraitables de cette période, dans le style de Delbart, n'ont pas beaucoup gonflé les rangs. Deloux dresse lui-même le tableau d'un tel cafard collectif, d'une telle criminalité légale, qu'ils expliquent à la fois la violence de la prise de parole d'André Héléna et la culpabilité muselée dont elle entendait secouer le pucier. Et en creux de ce roman, on aperçoit une autre période : la nôtre, où une telle liberté de ton est devenue suspecte.
Alors André Héléna a-t-il forcé le trait, avec sa piste aux macchabées ? Sans aucun doute, et pour notre plus grand plaisir. Mais travesti la réalité, sûrement pas. La réalité d'un mauvais rêve qui ne saurait s'achever. Pas même sur un macchabée.

1. Le Festival des macchabées (1951) est le second volet du diptyque crapulo-résistant ouvert par Les Salauds ont la vie dure (1949), où Delbart et Bams s'associent.
2. Puis, avant Le Festival de Delbart et Bams, les éditions Édite ont eu la bonne idée de reproduire un petit texte d'Héléna, Défense du roman noir, genre accusé des pires maux, et précisément des maux qu'il décrit. Un texte qui n'a pas pris - Deloux vient de nous décrire pourquoi - beaucoup de rides.

Vous pouvez retrouver l'ensemble de ces chronique dans le dossier Retour aux sources.

Citation

Avez-vous lu ce roman noir, bourré d'assassinats, de viols, d'adultères et d'incestes qui s'appelle la Bible ? Seulement l'auteur, prudent, a soigneusement gardé l'anonymat

Rédacteur: Stéphane Prat lundi 09 janvier 2012
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