La Taupe

Sous bien des aspects il s'était montré dégueulasse. Il avait trompé sa femme, il buvait, il avait coupé tout contact avec sa famille. Sans compter les choses qu'il avait faites pour le pays et pour Dieu et dont il n'avait pas lieu d'être fier.
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Film - Espionnage

La Taupe

Politique - Géopolitique MAJ jeudi 09 février 2012

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 0 €

Tomas Alfredson
Scénario adapté de l'œuvre de John Le Carré
Tinker, Tailor, Soldier, Spy - 2012
Boulogne-Billancourt : StudioCanal, février 2012
couleur ;

La Taupe, plongée dans l'austère réalité des services secrets britanniques

"Je crois que les types musclés choisissent l'armée et que les forts en maths deviennent espions." C'est en ces termes que Tomas Alfredson, réalisateur suédois découvert avec Morse en 2008, a livré son sentiment sur le sujet qu'il devait traiter en adaptant le roman de John Le Carré, La Taupe (Tinker, Tailor, Soldier, Spy, 1974). Et c'est ainsi qu'il a traité son film. En tuant le romantisme de l'espionnage que le cinéma s'entête à nous servir depuis cinquante ans, soutenu par un certain Agent 007 entre autres rejetons littéraires du MI6.
Tomas Alfredson ayant eu vent du projet d'adaptation du livre de Le Carré a su convaincre les producteurs et l'auteur lui-même de sa capacité à s'emparer du sujet. Et ce, malgré quelques craintes de l'auteur très attaché à l'adaptation TV de son livre par John Irvin en 1979 : comment "développer une intrigue aussi complexe en seulement deux heures" quand la mini-série la développait en cinq ? Il admet aujourd'hui que "Tomas Alfredson est parvenu dans un style magnifiquement efficace, à [lui] faire redécouvrir [son] propre roman". Et d'ajouter que "La Taupe n'est pas le film du livre" mais bien "une œuvre à part entière".



Et de fait, Alfredson a su restituer le réalisme avec lequel John Le Carré raconte les coulisses des services secrets britanniques depuis 1963 et son espion venu du froid. Un monde dans lequel l'intrigue politique et l'humanité des personnages l'emportent sur l'action, le glamour et l'orgie de gadgets à la sauce spy. Le héros du livre, George Smiley, en est la pierre angulaire.
Imaginez le sosie de Jacques Delors, dans sa version années 1990, campant un agent secret : le décor est planté, notre espion ne pourra pas être glamour ! Il le sera néanmoins bien plus que le héros décrit par Le Carré : "petit, peu attirant et en léger surpoids" malgré les efforts de son interprète, Gary Oldman, pour adopter le régime prescrit par l'auteur qui consistait à inclure dans son alimentation le pudding et la crème anglaise : "Alec Guinness (le Smiley de la BBC) avait dû faire de même en son temps !"
Le héros est un anti-héros en somme. Il n'a a priori pas le charisme, ni le sex-appeal d'un James Bond sur grand écran. Ses démonstrations de force et de violence sont réduites à peau de chagrin. "George Smiley est un type discret et observateur qui se fond dans le décor et écoute tout. C'est un dur mais il n'est pas du genre à se lancer dans des courses-poursuite, ni à tuer pour parvenir à ses fins" précise Tim Bevan, le producteur du film. "Smiley est l'espion parfait. si vous le croisez dans la rue, vous ne le remarquez pas. Il n'exprime aucune émotion et vous ne savez jamais à quoi il pense. Il pose des questions et il obtient des réponses, c'est tout. On pourrait douter du charisme d'un tel personnage sur grand écran mais au contraire il se révèle passionnant."

L'interprétation de Gary Oldman est à la hauteur de cette description.


UN FILM VINTAGE
Mêmes choix de discrétion et d'austérité dans la mise en scène avec des inventions promptes à nous faire nous esclaffer : "sont forts ces espions !", inexistantes. Une BO disco-funk avec ses boules à facettes et toute la panoplie kitsch des années 1970 qu'on nous sert exagérément au cinéma pour remonter le temps, absentes !
Dans La Taupe d'Alfredson, l'ambiance est grise et ainsi sont les mines et les âmes des espions. Pour accentuer le trait, l'image elle-même fleure bon le suranné avec un grain qui voile la pellicule et lui donne ce goût d'autrefois. Le film sent fort la fripe.
Une teinte que le réalisateur semble avoir donnée à son film par souci de réalisme. Sans vouloir participer à l'écriture du scénario, John Le Carré a néanmoins largement enrichi et corrigé des détails de celui-ci pour aider Tomas Alfredson dans son souci de vraisemblance de l'histoire.



Une collaboration heureuse avec le réalisateur mais aussi avec les acteurs qu'il a conseillés dans leur interprétation. John Le Carré a même participé au tournage en tenant un petit rôle de figuration dans une scène de fête réunissant les membres du Cirque : "J'ai dû imaginer quel figurant j'étais, à mon grand âge [...] je me suis vu en vieux documentaliste homosexuel que l'on a amené là par amour du temps passé et à qui on a donné l'autorisation de se saouler."
Un choix qui apporte à l'histoire un gage de plus d'authenticité. Tomas Alfredson rappelle que "l'homosexualité était très répandue dans le milieu de l'espionnage. À l'époque, les espions concernés devaient taire leur orientation." Cette année, le service de renseignement intérieur britannique arrive en soixante-deuxième position dans le classement des entreprises réservant le meilleur accueil aux homosexuels et bisexuels selon l'association Stonewall. C'est la première fois qu'il entre dans le top cent de ces employeurs. Selon le Times, le MI5 a mis pendant des décennies "un veto officieux au recrutement d'homosexuels estimant qu'ils étaient trop vulnérables au chantage et qu'ils constituaient une menace pour la sécurité."1

LA SUITE
La Taupe est le premier volume de la "Trilogie de Karla". Le troisième, Les Gens de Smiley, a aussi été adapté par la BBC pour la télévision. Toujours avec Sir Alec Guinness dans le rôle titre. Le même avenir semble promis à Tomas Alfredson et Gary Oldman. Le troisième volet de la trilogie est déjà annoncé pour 2014.
Une aubaine pour John Le Carré qui avoue : "ma vie et ma réputation se sont construites autour de mes livres, mais l'immense majorité du public ne les a jamais lus. C'est pourquoi je suis ravi que les gens découvrent mon travail à travers un autre média. Si le film les incite à me lire, je suis doublement ravi." Nous aussi. Pour preuve, nous vous proposons de découvrir son roman en anglais ici. Bonne lecture.

La Taupe : 127 min. réalisé par Tomas Alfredson d'après le roman éponyme de John Le Carré avec Gary Oldman, Mark Strong, John Hurt, Colin Firth, Tom Hardy, Toby Jones, Benedict Cumberbatch, Ciaráten Hinds...

1. in "Gay spies come in from the cold as MI5 is praised by Stonewaell", Rosemary Bennett, 11/01/12.


On en parle : L'Indic n°23

Rédacteur: Jawaher Aka jeudi 09 février 2012
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