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Tout public
Y en a un peu d'trop, j'vous l'laisse quand même ?
Voilà, il fallait bien que ça arrive. Lorsque j'ai entamé cette chronique, il y a un peu d'un an de cela, je me suis imposé un cahier des charges précis : ne chroniquer que les livres qui me plaisent et garder le silence sur ceux qui ne me semblent pas dignes d'être présentés ici. Jusque-là, la sélection s'est organisée de manière assez naturelle. J'ai fait de belles découvertes (Didier Fossey, Armelle Carbonel, pour n'en citer que deux), et j'ai renvoyé aux oubliettes de la littérature un nombre assez conséquent d'ouvrages parfaitement désespérants, sans queue ni tête, construits à la va-comme-je-te-pousse, et écrits dans une langue ne conservant avec le français qu'un cousinage très lointain...
Je n'avais pas envisagé l'hypothèse du livre qui resterait bloqué entre les deux : présentant trop de qualités pour pouvoir être qualifié de mauvais, et en même temps trop de défauts pour être considéré comme vraiment bon. Et ce livre, je suis tombé dessus : Cabale, parole d'honneur de Francis Romo.
L'histoire ? Elle est double et se construit progressivement, de manière assez ingénieuse, au travers des souvenirs des deux personnages principaux : Pablo Hidalgo, un homme d'affaire honnête (preuve qu'on est bien dans le domaine de la fiction !) qui a bourlingué un peu partout dans le monde, et "Elle", une jeune Marseillaise, héritière d'un grand chef de la mafia locale. Le premier est victime d'un juge rancunier qui ne cesse de comploter contre lui et les siens, depuis des décennies. La seconde, suite à un accident d'hélicoptère, a vécu des années durant dans la jungle guyanaise où elle a trouvé l'amour ainsi que son véritable équilibre. Leurs destins sont liés et toute l'intrigue du roman repose sur la manière dont les cercles de leurs vies respectives se rapprochent inexorablement.
À quelques rares exceptions près, donc, le livre s'organise sur la base d'une succession de souvenirs, notamment ceux de Pablo Hidalgo qui revient pendant toute la première partie du roman sur son enfance marseillaise. Ce sont, à mes yeux, les plus belles pages du livre. Je ne sais pas si ces souvenirs sont autobiographiques, mais ils sont rapportés avec beaucoup de chaleur et de justesse. Seulement, si ces quelques souvenirs d'enfance apparaissent particulièrement bienvenus, beaucoup d'autres, hélas, le sont nettement moins, et même lorsqu'ils ont un lien direct avec l'intrigue du roman, ils ouvrent trop souvent la porte à d'interminables et assommantes digressions.
C'est là que les choses se gâtent, en effet. Le livre de Fabrice Romo compte 440 pages, et il y en a incontestablement entre 150 et 200 de trop. 150 à 200 pages qui ne servent à rien, remplies de bavardages philosophico-mystiques, de vagabondages politico-ethnologiques, de détails fastidieux et besogneux. Non seulement ces pages sont inutiles, mais en plus elles ralentissent le déroulé de l'intrigue. L'ensemble se retrouve beaucoup trop dilué, distendu : l'intérêt du lecteur se perd en route, et on finit par sauter des pages pour continuer à avancer malgré tout.
C'est d'autant plus dommage que l'auteur tenait là matière à un très joli livre, original, aussi bien en termes d'intrigue que de construction. Mais il aurait fallu resserrer tout ça, tailler dans le vif, aller plus droit au but. Une fois de plus, on ne peut que déplorer l'absence d'un vrai travail éditorial qui aurait participé à débarrasser l'ouvrage de ses scories.
Bilan mitigé, par conséquent, pour ce premier roman de Francis Romo qui ne manque certes pas d'imagination, ni de talent, mais qui devra se souvenir que, dans la vie comme dans les livres, il n'y a rien de plus rasoir que les moulins à paroles qui sont persuadés que tout ce qu'ils disent, pensent ou inventent, est irrésistiblement captivant. Francis Romo a sans doute plein de choses à dire, il déborde de générosité, mais il faudra juste qu'il apprenne à se canaliser et à se modérer. Ce sera frustrant pour lui, sans doute, mais s'il souhaite poursuivre son chemin d'auteur (ce que nous lui souhaitons), il devra œuvrer en ce sens : ses prochains livres ne s'en porteront que mieux... et ses lecteurs aussi !
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Citation
Au cours de mes différents voyages africains ou sud-américains, j'ai pu constater que sur nos anciens territoires, en bon Français, soucieux de promouvoir notre culture, nous avons laissé derrière nous un éternel héritage : le bistro. Ce serait bien sûr réducteur de penser qu'au travers le monde, nous n'avons laissé en héritage que cette forme de culture. Mai tout de même...