Contenu
Poche
Inédit
Tout public
328 p. ; 18 x 12 cm
ISBN 978-2-916330-48-8
Coll. "Forcément noir"
Plus on est de fous plus on (pé)rit
Hervé Sard n'est pas un débutant dans le monde du polar et du roman noir : il a déjà publié cinq livres aux éditions Krakoen et Morsaline est son quatrième roman (pas la peine de recompter sur vos doigts, je sais, je suis en retard d'un train).
Hervé Sard n'est pas un amateur, donc, qui se serait égaré par hasard dans la zone à risque des pruneaux qui volent bas et des cadavres qui s'entassent, mais un vrai passionné qui connaît son sujet par cœur et qui en maîtrise les codes, les références et l'esprit. Un auteur de polar, quoi, un vrai. Cela me change un peu de tous ces extraterrestres dont j'ai été amené à lire les livres ces derniers mois, pour cette chronique, et dont je ne comprends toujours pas pourquoi ils s'acharnent tant à vouloir écrire des romans policiers, alors que, visiblement, ils n'en lisent pas et ne s'intéressent pas du tout à ce genre littéraire. Peut-être ont-ils pensé qu'un polar, c'était plus facile à écrire : style relâché, trois mots d'argot, deux ou trois morts par-ci par-là et une intriguette bancale pour lier leur vilaine sauce... Idéal quand on n'a rien à dire. Sauf qu'au final, le lecteur se retrouve avec, dans les mains, un pauvre bouquin qui ne sert à rien, qui ne lui apporte rien et qui n'a aucune raison d'être.
Mais avec Hervé Sard, c'est tout le contraire. La construction de Morsaline est impeccable (enfin à 90 %... je reviendrai plus bas sur les 10 % restants...) et les pièces s'emboîtent à la manière d'un puzzle. Deux hommes ont été retrouvés morts dans une clinique psychiatrique privée, à Kérande - je n'ai d'ailleurs pas compris pourquoi l'auteur a choisi de déformer le nom de Guérande (très reconnaissable) alors que toutes les autres communes qu'il cite (Saint-Herblain, La Chapelle-sur-Erdre, La Baule...) ont pu garder leur véritable appellation. Faudra que je lui demande, à l'occasion. L'équipe du commissaire Czerny entre en scène : Mazurelli, le rocker banané, Carol Joly, La Pastèque, espèce de savant fou, Colin le bègue ou Juliette la légiste bourrue qui ne répond jamais aux questions qu'on lui pose. L'enquête progresse lentement et les silhouettes des suspects se dessinent peu à peu. [Aparté : j'imagine que si un vrai flic tombe sur Morsaline, il va soit s'arracher les cheveux (s'il en a), soit se tordre de rire car la manière dont ces flics d'opérette travaillent est hautement improbable. C'est peut-être même là un des petits points faibles du roman (Marzulli, par exemple, part à la recherche d'une suspecte qu'il est incapable de reconnaître parce qu'il n'a pas pris le temps de récupérer une photo d'elle – alors qu'au moins deux de ses collègues ont interrogé son mari la veille...). Fin de l'aparté].
Les personnages sont construits avec soin, aussi bien ceux qui occupent les premières places que les sous-fifres qui ne font que passer et l'on sent qu'Hervé Sard nourrit une affection sincère pour les paumés, les égarés de la vie et autres zombis qui hantent les couloirs de l'hôpital psychiatrique (et ceux du commissariat). Cette humanité, qui transpire entre les lignes, contribue à donner encore plus de force et de profondeur au récit. Le ton est juste également et l'humour omniprésent.
J'ai laissé 10 % de réticences en attente, un peu plus haut, rappelez-vous. Revenons-y, pour conclure. J'ai dit que Morsaline était un petit bijou de construction, ce qui est vrai, ce qui ne l'empêche pas de souffrir, comme beaucoup trop de romans policiers, de ce que j'ai pompeusement baptisé (attention, droits réservés), le "syndrome du Nœud Gordien". Qu'est-ce donc allez-vous me demander, avec des trémolos (tremoli ?) d'impatience dans la voix ? Et je vais vous répondre, car je n'aime pas voir mes interlocuteurs trémoler inutilement : c'est cette habitude qu'ont certains auteurs de serrer tellement bien le nœud de leur intrigue qu'ils ne parviennent plus à le défaire quand l'heure de la chute a sonné et qu'ils se voient forcés de sortir un grand couteau pour, finalement, trancher dans le vif. Hervé Sard n'a pas pleinement su éviter cet écueil dans son livre et, après avoir multiplié malicieusement les fausses, pistes, les quiproquos, les zones d'ombres et les rebondissements imprévus, il se trouve un peu contraint, quand vient l'heure de conclure, d'avoir recours à un drôle de Vicomte débarquant d'on ne sait où, sorte de Deus ex machina (je fais dans la référence antique aujourd'hui) qui laisse le lecteur un peu sur sa fin. C'est dommage...
... mais pas dramatique, d'autant que j'ai ouï-dire que le nouveau bouquin d'Hervé Sard, Le Crépuscule des gueux, toujours aux éditions Krakoen, était un petit chef-d'œuvre. J'aurai peut-être l'occasion d'en reparler ici, qui sait ?
Vous pouvez retrouver toutes les chroniques à L'Heure des comptes !
Citation
Ici, tu vas rencontrer tout un tas de gens à problèmes. Des dépressifs, des phobiques, des drogués, des anorexiques, des alcooliques, des suicidaires, des bipolaires, des mono polaires, des toqués, etc. Plus le directeur. Faut le compter dans le lot : il en tient une couche et c'est pas avec du Monsieur Propre qu'on va le récupérer.