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La Prophétie de l'abeille
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du japonais par Sophie Refle
Arles : Actes Sud, mai 2013
438 p. ; 24 x 15 cm
ISBN 978-2-330-01958-7
Coll. "Actes Noirs"
Particules élémentaires
La Prophétie de l'abeille pourrait s'attacher à la thématique qui pointe actuellement dans la littérature japonaise de L'Océan dans la rizière, de Richard Collasse, à Mille Cercueils, de Kota Ishii, en passant par Santetsu, un manga de Koji Yoshimoto, pour n'en citer que quelques uns, axée sur le post-Fukushima - autrement dit, ceux qui au travers du roman fictionnel ou documentaire abordent la catastrophe que l'on connaît, conséquence du tremblement de terre du Tohoku. La dissemblance de cette nouvelle traduction française d'un roman de Keigo Higashino est que ce dernier a été écrit en 1998, bien avant la catastrophe de Fukushima, survenue, elle, rappelons-le en mars 2011. Actes Sud a pour la traduction française délibérément appuyé sur ce fait en adaptant le titre original L'Abeille dans le ciel par La Prophétie de l'abeille, lui donnant un caractère d'anticipation.
Yuhara a travaillé sur l'un des plus gros projet de l'Agence de défense du Japon : un hélicoptère prodigieusement perfectionné. Lors du vol inauguratif, son fils réussit à s'introduire à l'intérieur de l'appareil, et à s'y faire enfermer. L'appareil décolle alors tous seul, piloté à distance, et vient se stationner au-dessus d'un réacteur nucléaire. Des semblants révolutionnaires anti-nucléaires y vont alors de leur ultimatum : si toutes les centrales nucléaires du Japon ne sont pas mises hors d'état de fonctionner dans les heures qui suivent, l'appareil à court de carburant et bardé d'explosifs, s'écrasera sur la centrale. Ce postulat aurait pu sembler des plus rocambolesques - c'est d'ailleurs ce qu'il semble pour la grande majorité des personnages du livre -, mais au regard de l'actualité qui a suivi, il en devient on ne peut plus crédible, et acquière cette singulière impression de déjà-vu malgré sa puissante originalité.
Keigo Higashino initie un thriller d'expert, proposant un récit radicalement différent de ses précédents romans. Son agilité du verbe alliée à sa construction d'équilibriste ne cesse pas de nous séduire. L'auteur, hors d'atteinte du virus du pathos et de la leçon de moral sur le nucléaire, qui pourrait s'avérer ici dangereux, se place plutôt en spectateur, et s'amuse de voir tous ses personnages qui se mettent à courir en tous sens, comme dans une fourmilière prise par le feu.
En outre, il y a cet étourdissant dilemme : tenter d'empêcher le crash de l'hélicoptère, ce serait avouer devant le monde entier que la sécurité des centrales est faillible, d'un autre côté jamais un tel appareil ne s'est écrasé alors que certains ont certifié qu'il n'y aurait aucun risque... En dehors de cette menace, c'est le débat de la tentation, de l'expérience, de savoir qui voit le jour. Cette contradiction de la pensée japonaise que Keigo Higashino sous-entend est un véritable divertissement apposé à un propos dramatique. Travailleur d'orfèvre, l'auteur excelle pour un résultat qui donne plus de quatre cents pages addictives et documentées - on dissèque sur des pages toutes les solutions et conséquences possibles. Au travers des médias, on y ausculte aussi les doutes d'une population partagée majoritairement silencieuse.
Surprenant récit à l'originalité d'un twist final d'un pays en lutte contre sa crédibilité, La Prophétie de l'abeille est une véritable petite perle au final magistral, ce qui ne surprendra pas ceux qui ont déjà lu Le Dévouement du suspect X.
Le Japon a annoncé l'arrêt total de ses centrales d'ici trente ans espérant, tout en créant de nouvelles sources d'énergie, subvenir à ses besoins. En 2011, cinquante-deux réacteurs étaient à l'arrêt. On guettera avec intérêt le prix Nobel, Kenzaburô Oé qui a fait du désastre de Fukushima la question primordiale de son prochain roman. L'un de ses discours sur le sujet s'intitulait : "Sommes-nous un peuple aussi facile à berner ?" Keigo Higashino l'illustre parfaitement au travers de son œuvre. Si, en 1998, cette récréation savamment mise en sauce était une prophétie qui prêtait à sourire, la tonalité aujourd'hui s'en trouve légèrement émaillée. La prophétie du titre est plus de l'ordre de l'avertissement.
Citation
Nous y voyons la preuve que les réacteurs nucléaires qui existent autour de nous n'ont pas qu'un seul visage. Ils en ont plusieurs, souriants et menaçants. C'est se faire des illusions que croire qu'ils ne font que sourire.