Contenu
Carton blême
Grand format
Inédit
Tout public
Paris : Casterman, juin 2013
104 p. ; 26 x 19 cm
ISBN 978-2-203-02581-3
Coll. "Rivages/Casterman/noir"
Série blême
Ce carton blême que met en avant Pierre Siniac dans son roman urbain d'anticipation est un carton rouge adressé à notre société prompte à mépriser et à délaisser son prochain. Les individus doivent s'affranchir d'une visite médicale biannuelle au cours de laquelle est calculé leur coefficient de santé leur donnant droit à un carton bleu ou un carton blême. Le premier est un sésame, qui permet entre autre de bénéficier de la protection de la police, le second est un ticket gagnant pour la morgue à court terme. La ville du troisième millénaire est envahie par les SDF, les psychopathes du marteau (qu'ils pilonnent sur les crânes blêmes), et surveillée de près au sein d'un système totalitaire parfait sauf que bien entendu la corruption est toujours possible. C'est ce que va découvrir Paul Héclans, commissaire principal, au cours d'une enquête de routine suite au massacre d'une jeune fille dont on a retrouvé le sac. Elle avait en sa possession un carton blême sauf que le légiste est formel : avant sa mort, elle était en excellente santé. Pourquoi son médecin traitant l'a-t-il trompée ? La raison est des plus simples, mais ce même médecin avoue qu'il a aussi falsifié, mais dans l'autre sens, les coefficients de santé de notables. À partir de là, la vie de Paul Héclans ne tient plus qu'à un fil, et le fil du docteur est très vite tranché quand on le retrouve pendu dans sa cellule.
L'adaptation en bande dessinée de Boris Beuzelin et Jean-Hugues Oppel est tranchante, tout en rythme, et glauque à souhaits. C'est tout d'abord dû au scénario traité à la sulfateuse du romancier français déjà souvent enclin à mélanger anticipation et roman noir. Il n'y a pas de fioritures, les éléments écrits sont minimalistes. On repère les habitudes de l'écrivain derrière certaines parenthèses, et la façon froide de présenter les différents protagonistes d'une farce macabre. Boris Beuzelin s'adapte à merveille du scénario pour proposer des images crues, violentes et froides, du genre qui fait frémir le bas du dos. Il offre des planches de couleur bleue (ou blême puisque ironie du carton, il est d'une couleur apparentée mais exsangue), qu'il alterne de sépia quand il veut fuir la violence sous-jacente à chaque scène. Il n'y a pas un riverain qui ne fait face à un obsédé. Seulement voilà, il ne faut pas sortir sans son précieux carton. Et Paul Héclans va être étrangement victime d'un tour de prestidigitation en commissariat, monnaie d'un complot visant à le déchoir pour s'être approché trop près d'une réalité, et à en comprendre trop tard toute l'absurdité. En quatre-vingt-dix pages d'une sècheresse affective impressionnante, les deux auteurs nous offrent la vision malheureusement prophétique de Pierre Siniac et de notre société, vision dont a été victime le romancier, mort isolé et dont le corps n'a été retrouvé que tardivement pour les raisons olfactives que les voisins n'ignorent pas. Remarquable.
Illustration intérieure
On en parle : La Tête en noir n°163 |La Tête en noir n°167
Citation
Les citoyens grevant le budget de la sécurité sociale ne sauraient en plus accaparer le précieux temps de travail des forces de l'ordre. Les gens en bonne santé et donc protégeables reçoivent un carton bleu (format et modèle d'une carte bancaire) qu'ils doivent présenter avant toute requête d'assistance policière. Les autres reçoivent un carton blême.