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La Légende de Pierrot le Fou
Grand format
Inédit
Tout public
Au clair de la lune...
... Mon ami Pierrot. Il est bien là le truand fascinant, celui que l'on rêvait d'être dans la cour de récré quand on jouait aux gendarmes et aux voleurs parce que la veille à la télé, à la séance du "Cinéma du Dimanche soir", on avait retapissé, bien calé entre papa et maman, Le Gang de Jacques Deray avec Alain Delon. Le Gang, ce roman de Roger Borniche, ex-super-flic qui romança ses mémoires à l'âge de la retraite pour mieux nous narrer comment il avait passé les cadènes au terrible Émile Buisson et coursé sans relâche... Pierrot le Fou. Déjà. Cette page de l'histoire police face à l'ennemi public number one, je la connaissais pour avoir lu le Borniche et vu le Deray justement, et je dois dire que l'ouvrage de Rodolphe est, dans les grandes lignes, conforme aux faits tels qu'ils ont été racontés par ses aînés, et se sont, d'ailleurs, vraisemblablement déroulés.
Oui, il est là le personnage principal. Comme sont là le Paris d'après-guerre, les Tractions Avant, les costards croisés, les pompes cirées, les P38 qui défouraillent pour un regard de trop, les putes, les macs, les boîtes de Montparnasse et de Saint-Germain-des-Prés, les bouteilles de Roteuse, l'argent qui sort des poches, les filles faciles, les règlements de compte, les condés, l'argot, les ex-gestapistes épargnés par les comités d'épuration, les ex-résistants livrés à eux-mêmes avec flingues en héritage, et l'équilibre nécessaire pour ce genre d'ouvrage entre l'authentique et le folklore.
Oui, tout est là. Seulement ça ne suffit pas. Car si au clair de la lune on voit tout ça (et c'est vrai qu'il y aurait de quoi se faire une bath partie de "si on dirait que j'étais..." à la récré du midi), si la coquille est jolie et appétissante, il faut bien reconnaître qu'il n' y a pas grand-chose à grailler dedans. L'auteur, par ailleurs scénariste de bandes dessinées, aime le cinoche et ça se sent. Ça se sent tellement bien qu'en lisant son book, j'ai eu l'impression d'être devant un grand écran... Et d'y trouver le même vide que je trouve maintenant quand je vais réellement au cinéma. Y a tout, comme dans Mesrine ou Cloclo sauf que, et il faut croire que c'est le mal actuel, ce n'est pas habité. Ça commence par la fin, par la mort du "héros" (autre mal actuel), et puis les anecdotes s'enchaînent, racontées par un narrateur imaginaire, écrivain qui aurait fréquenté la bande à Pierrot, mais on n'y est pas. Ça serait comme de gagner un billet pour une croisière et de rester sur le quai avec un commandant de navire qui nous annoncerait depuis le pont avec un mégaphone que le troisième jour on pourra admirer tel archipel, que le cinquième jour on fera escale à tel endroit, que le huitième jour il y aura une chasse au trésor, que... que... mais on reste sur le quai.
Il y a la forme et... rien.
Je ne me suis pas retrouvé à Paname, je n'ai pas frémi, pas tremblé, pas eu envie de savoir coûte que coûte la suite des aventures à en oublier de descendre à ma station de métro ou à pester contre le sommeil qui m'embue les carreaux. Pire : moi qui viens d'arrêter de fumer je n'ai même pas eu envie d'en griller une. Pourtant le gros de l'histoire se passe en 1946. Merde ! La bonne goldo, la gitane, la camel ricaine, le cigare, du gris, du brun, du blond et personne pour te gâcher la goulée avec le cancer (à cette époque-là, le crabe se contentait d'être un crustacé). "Tiens ! Fume mon gars, c'est du bon !", qu'on entendait partout. Eh ben, vous me croirez si vous voulez mais je n'ai même pas eu le moindre début de désir de m'enfumer la gueule, les frusques et l'appart. Alors que l'autre jour quand je regardais un "Laurel et Hardy" et qu'à un moment Laurel allume sa pipe, j'ai... Enfin passons.
Donc oui, il y a tout. Il y a les personnages. Loutrel a un regard, Attia est grand, Danos est costaud. D'accord, mais on ne les voit pas. Ce ne sont que des silhouettes, ce qui est quand même un tantinet emmerdant pour des protagonistes de premier ordre. Il y a des braquages mais qui ne sentent pas la poudre, pas la tension, pas le suspense. Des histoires de fesses qui ne font pas bander. Des suppositions qui deviennent des vérités (il n'est pas prouvé par exemple, comme l'affirme l'auteur, que le docteur Petiot venait chercher rue Lauriston, dans les caves de la gestapo française, du combustible cadavérique pour sa chaudière). Il y a des lieux, des noms de rue, mais pas de décor, pas d'odeur, pas de goût qui vient dans la bouche, pas cette magie qui nous fait dire : "Mais bordel de Dieu ! Pourquoi que j'ai pas vécu ça, moi ! Je suis né trop tard. Fait chier !" Et pourtant, Dieu sait que ce n'était pas le temps du farniente.
On lit mais on ne ressent rien. Et surtout pas cette étrange atmosphère du bordel de la libération, de cette période trouble où les anciens collabos et les anciens résistants se confondaient en nouveaux truands, ère embrouillée qu'un écrivain comme Alphonse Boudard (par ailleurs adaptateur du film Le Gang) savait si bien nous rendre et dont, justement, les gangsters comme Pierrot le Fou ont su profiter pour commettre leurs exactions. Il est vrai que lui, Boudard, la chienlit de 45 il l'avait vécue en direct live et aux premières loges. Mais je ne pense pas que ça soit cela la clé de l'énigme. Je pense même que Rodolphe est sincère, qu'il fait honnêtement son travail, que c'est un passionné et qu'il aime ce qu'il raconte. En fait, je crois que le problème est lié à l'obligation actuelle d'être efficace. Il faut en mettre plein la vue. Il faut que le lecteur, ou le spectateur car j'insiste sur le fait que je ressens la même chose au cinéma, en ait pour son pognon. Il faut que ça rentre dans le vif du sujet tout de suite et que ça en jette.
Alors oui, ça en jette... en apparence.
Citation
Je le regardais en loucedé, et vraiment il faisait peur. C'est son regard surtout qui était bizarre. Plus tard, j'ai compris pourquoi. En partie au moins. Aux Bat'd'Af qu'il avait fait avant-guerre et où il avait rencontré Jo, il s'était fait tatouer deux petits points au coin de l'œil.