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Réédition
Tout public
Préface de Michael Connelly
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch
Paris : Calmann-Lévy, juin 2015
500 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-7021-5712-1
Coll. "L'Intégrale MC"
Le retour d'Edgar Poe
Autant le dire tout de suite : je ne suis pas friand, mais alors pas du tout friand des histoires de serial killer. Je ne les recherche pas. Je n'aime pas en général leur complaisance malsaine à l'égard de gens qui n'appartiennent plus à l'humanité ou qui font semblant d'y prétendre. Et puis, sur le plan littéraire, le motif du serial killer est bien trop souvent une sorte de truc narratif qui permet à un auteur paresseux de pousser tranquillement son inspiration jusqu'à la révélation finale.
Cependant, en présence du roman de Michaël Connelly, j'ai trouvé de quoi réviser mon jugement. De la complaisance à l'égard des tueurs en série ? Non, pas du tout. Une forme de paresse narrative ? Encore moins. Et on va voir pourquoi. Paru en 1996 aux États-Unis, puis en 1997 en France, Le Poète est le premier roman de Michaël Connelly. À l'époque, il est encore journaliste, mais c'est vers la littérature qu'il se sent appelé depuis son adolescence (à ce sujet, la préface de l'auteur offre des éclaircissements bienvenus). Ce vécu journalistique forme la matière première du Poète : Jack McEvoy, le héros du roman, est chroniqueur judiciaire au Rocky Moutain News ; bref, il s'occupe des faits divers. Sa vie bascule le jour où son frère Sean, inspecteur de police, est retrouvé suicidé dans sa voiture. Mais Jack ne croit pas une seconde à cette thèse, d'autant que Sean travaillait au même moment autour d'une sombre affaire qui le tenaillait, celle d'une femme retrouvée coupée en deux dans un jardin public, non loin d'une école primaire. Et puis, dans la voiture de Sean, tracé sur la buée du pare-brise, quelqu'un a laissé ce message : "Hors de l'espace, hors du temps", une citation tirée d'un poème d'Edgar Allan Poe.
À partir de ces quelques indices, et à la faveur d'une immersion dans le FBI pour les besoins d'un article, Jack va débusquer d'autres lièvres un brin mortifères : d'autres policiers suicidés, d'autre messages inspirés d'Edgar Poe, et aussi le recours à l'hypnose que le criminel semble bien connaître pour convaincre ses proies de se donner la mort. Un suspect ne tarde pas à émerger, un certain William Gladden, membre d'un réseau de pédophiles, personnage glaçant, enfermé dans sa psychose d'enfant violé et qui n'aura de cesse de tourmenter ceux qu'il croise sur son chemin.
Mais Gladden est-il vraiment le Poète ? Pourquoi chaque suicide de policier se trouve lié en même temps à des meurtres sadiques ? Comme les trains, un tueur peut en cacher un autre... Et qui manipule qui dans cette histoire ?
Si Le Poète est si réussi, c'est parce qu'il plonge tout à la fois et avec réalisme dans le quotidien d'un journaliste et dans celui du FBI. Pas d'effets de manche dans ce polar. Jack enquête pour sauver la mémoire de son frère et pour se sauver lui-même d'un métier qui le ronge. Tout cela est très humain, et loin, très loin de ces polars insipides où on accumule des meurtres pour faire plus de chapitres. Et puis, dans Le Poète, il y a le quotidien du FBI, toute une équipe composée d'individus qui ne sont peut-être pas non plus des oies blanches... Qui sait, le Poète ne se cache-t-il pas parmi eux ?
Pour ce premier roman de la série "Jack McEvoy" alors qu'il a déjà écrit quatre "Harry Bosch", Michaël Connelly avec ces cinq cents pages force l'admiration. Un style fluide, sans esbroufe, bien condensé comme une série de chroniques judiciaires. Bref, du grand art. Et en prime, une belle réflexion sur le métier de journaliste et les chausses-trappes de la vérité à tout prix.
À noter que cette réédition est le premier volume de l'intégrale de l'œuvre du maître parue chez Calmann-Lévy.
On en parle : 813 n°108
Citation
La mort, c'est mon truc. C'est grâce à elle que je gagne ma vie.