Les Princes du bitume

Mon chou, je suis bien pire qu'une putain de grippe. Je te file d'abord quelques courbatures après molestage en règle, ensuite tu te chies dessus tellement t'as peur, pour finir je te cloue définitivement au lit. Personne n'a encore trouvé de vaccin, ricana le Fugu.
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Roman - Noir

Les Princes du bitume

Drogue - Gang - Urbain - Trafic MAJ jeudi 20 juillet 2017

Note accordée au livre: 3 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 9,5 €

Rachid Santaki
Préface de Dominique Manotti
Paris : Jigal, mai 2017
288 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-37722-010-6
Coll. "Polar"

I will survive

1998, la Coupe du monde approche à grands pas. Saint-Denis va devenir la Mecque de tous les amateurs de foot de la planète. Zidane s'appelle encore Zinédine (seul le poids d'un exploit légendaire qui n'a pas encore eu lieu aura le pouvoir de le rebaptiser plus fraternellement "Zizou"), et si la France "Black, Blanc, Beur" existe déjà, ça ne peut être que dans le cerveau imaginatif d'un auteur de science-fiction. Les fils d'émigrés d'Afrique Noire et d'Afrique du Nord n'ont qu'à bien se tenir, la France vient de leur tendre la main : leur ville sera celle de la finale, celle du sacre des Bleus (si tout se passe bien), celle de l'honneur, de la fête, de la joie de tout un pays. Autant dire qu'en échange on aspire à une paix royale : ce n'est pas le moment de faire parler de soi à cause d'un trafic de shit à la gomme. La guéguerre pour savoir qui sera le roi du bloc B ou du Bloc C de l'allée Debussy ou de l'espace Pierre et Marie Curie ne doit pas sortir des limites de la Cité. Qu'ils écoutent NTM, fassent griller des merguez, volent des autoradios, des bagnoles à la rigueur, qu'ils s'occupent comme ils veulent mais qu'ils remettent leur règlement de compte à une date ultérieure. La police est sur les dents. Et elle l'est d'autant plus que pour certains de ses pensionnaires, Néferti pour ne pas le citer, le trafic de stups c'est un vrai business qui rapporte plus que le salaire alloué par l'État. Dernièrement, l'un des deux gros caïds de la Seine-Saint-Denis, Jérôme Baté, s'est fait descendre. Son "associé", Houssine, reste seul pour tenir le marché et faire régner la tranquillité. Il aimerait bien savoir qui a repassé son pote. Il n'est pas dupe, il sait que la nouvelle génération lorgne dangereusement sur son trône. Les frères Bensama par exemple. Les deux aînés sont en prison mais le cadet, Saïd, est loin d'être en retard pour son âge. Il a des projets d'expansion vers les drogues dures. Seulement pour ça, il faudrait qu'il impose sa loi, et pour imposer sa loi il n'a pas trente-six solutions : il faut qu'il soit calife à la place d'Houssine.
Hachim n'est pas comme les autres. Bien sûr, il transpire la cité par tous les pores de sa peau, et s'il jacte un mélange de verlan, d'argot et de rebeu, il sait aussi écrire en français. Il est doué Hachim. Il travaille bien en classe, a de l'imagination, des idées, de l'organisation, le sens de l'amitié, il aime lire, écrire, écouter du rap, danser, il a la vie devant lui. Il rêve d'être journaliste. Et qui sait, peut être un jour, de commenter les performances de Zidane. En attendant, il est le petit protégé d'Houssine le Grand. Plongé dans l'univers duquel il espérait pouvoir sortir, Hachim va devoir apprendre très vite à faire des choix, bons ou mauvais, et à s'y tenir. Il y a parfois des rêves qui se terminent autrement que par trois buts et un trophée brandi un soir de juillet.
Roman haletant au style direct, Les Princes du bitume nous colle aux pognes comme l'asphalte fondu colle aux semelles des godasses. J'avais un peu peur, moi qui ai été éduqué avec le langage simple de la province, que Rachid Santaki m'entraîne dans un labyrinthe de bâtiments de cité où si tu kiffes pas les série américaines et le gansta rap, tu comprends que dalle. J'avais pas non plus envie de revoir La Haine, ni d'assister à un reportage BFM TV (celui qui fait bien flipper et qui précède celui sur l'inquiétante progression du vote FN). J'avais pas envie qu'on m'explique une énième fois la banlieue c'est morose, la banlieue c'est pas rose, et qu'on me fasse plaindre ces types qui se sentent exclus alors que pour la plupart d'entre eux ça les arrange (et nous aussi, faut bien le reconnaître). Déjà, je remerciais le ciel que l'action se passe en 1998, une époque où la religion n'avait pas encore dépassé les bornes de la sphère privée pour venir polluer l'espace public (vous verrez qu'on finira par être nostalgique des années 1990) ce qui allait peut être me permettre de me sentir concerné.
Et concerné je le fus. Je le fus pour deux raisons. La première, c'est parce que j'aime les romans policiers et que Les Princes du bitume en est un très bon (qu'on peut donc parfaitement comprendre sans utiliser Google translate). La seconde, c'est parce que le personnage principal, Hachim, en plus d'être attachant, est révélateur d'identification. Eh oui, pas besoin d'avoir des origines maghrébines, une chambre avec vue sur la tour nord ou un sweat' à capuche pour se reconnaître dans un môme dont les rêves se heurtent à la réalité. C'est d'ailleurs peut être bien là la grande force de Rachid Santaki : enfermer son histoire dans un genre, cloisonner ses personnages dans un décor, ne rien oublier de la crasse, de la misère, de la rage, du désespoir, du pessimisme, des clichés qui composent cet univers ô combien hostile aux profanes, bref ne surligner que des limites, ne désigner que des frontières, et puis nous faire réaliser qu'on les a franchies sans même se sentir en terre étrangère !

NdR - Les éditions Moisson rouge avaient fait paraitre ce roman en 2012 sous le titre Des chiffres et des litres.

Citation

Je descends travailler dans la cité. Je me suis embarqué dans le deal avec mes potes depuis quelque temps. J'ai renseigné un mec qui voulait pécho son bédo, et ensuite j'ai vendu une puis deux puis plusieurs doses de popo. J'ai décidé d'occuper un poste. Houssine a imposé à Sérigné de nous laisser un bâtiment. Jérémy découpe la veille le teu-teu qu'il réchauffe dans le four de son teum-teum. Une fois le bloc ramolli, il découpe puis pèse le chocolat qu'il emballe en différentes quantités : barrette à cinq grammes, 5-20 pour vingt-cinq grammes et savonnette ou grand G pour deux cent cinquante grammes.

Rédacteur: François Legay jeudi 20 juillet 2017
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